Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/135

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et moins sensible, j’aurais une digestion plus facile et des nerfs de fer. Je voudrais bien qu’il en fût ainsi ; mais, quant à ne plus penser à vous pendant la nuit… ô quelle idée ! »

Ici, elle éclata en sanglots.

Je compris que le Raymond en question n’était autre que le monsieur présent, et qu’il était en même temps M. Camille. Il vint au secours de sa femme, et lui dit en manière de consolation :

« Camille… ma chère… c’est un fait avéré que vos sentiments de famille vous minent, au point de rendre une de vos jambes plus courte que l’autre.

— Je ne savais pas, dit la digne dame, dont je n’avais encore entendu la voix qu’une seule fois, que penser à une personne vous donnât des droits sur cette même personne, ma chère. »

Miss Sarah Pocket, que je contemplais alors, était une petite femme, vieille, sèche, à la peau brune et ridée ; elle avait une petite tête qui semblait faite en coquille de noix et une grande bouche, comme celle d’un chat sans les moustaches. Elle répétait sans cesse :

« Non, en vérité, ma chère… Hem !… hem !…

— Penser, ou ne pas penser, est chose assez facile, dit la grave dame.

— Quoi de plus facile ? appuya miss Sarah Pocket.

— Oh ! oui ! oui ! s’écria Camille, dont les sentiments en fermentation semblaient monter de ses jambes jusqu’à son cœur. Tout cela est bien vrai. L’affection poussée à ce point est une faiblesse, mais je n’y puis rien… Sans doute, ma santé serait bien meilleure s’il en était autrement ; et cependant, si je le pouvais, je ne voudrais pas changer cette disposition de mon ca-