Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/156

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prendre que c’était à miss Havisham qu’il devait s’adresser ; plus je lui faisais des signes et des gestes, plus il devenait expansif et poli à mon égard.

« Avez-vous apporté ses papiers ? demanda miss Havisham.

— Tu le sais, mon petit Pip, répliqua Joe avec une petite moue de reproche. Tu me les as vu mettre dans mon chapeau, donc tu sais bien où ils sont… »

Sur ce, il les retira du chapeau et les tendit, non pas à miss Havisham, mais à moi. Je commençais à être un peu honteux de mon compagnon, quand je vis Estelle, qui était debout derrière le fauteuil de miss Havisham, rire avec malice. Je pris les papiers des mains de Joe et les tendis à miss Havisham.

« Espériez-vous quelque dédommagement pour les services que m’a rendus cet enfant ? dit-elle en le fixant.

— Joe, dis-je, car il gardait le silence, pourquoi ne réponds-tu pas ?…

— Mon petit Pip, repartit Joe, en m’arrêtant court, comme si on l’avait blessé, je trouve cette question inutile de toi à moi, et tu sais bien qu’il n’y a qu’une seule réponse à faire, et que c’est : Non ! Tu sais aussi bien que moi que c’est : Non, mon petit Pip ; pourquoi alors me le fais-tu dire ?… »

Miss Havisham regarda Joe d’un air qui signifiait qu’elle avait compris ce qu’il était réellement, et elle prit un petit sac placé sur la table à côté d’elle.

« Pip a mérité une récompense en venant ici, et la voici. Ce sac contient vingt-cinq guinées. Donne-le à ton maître, Pip. »

Comme s’il eût été tout à fait dérouté par l’étonnement que faisaient naître en lui cette étrange personne et cette chambre non moins étrange, Joe, même en ce moment, persista à s’adresser à moi :