Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/232

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

nécessaires pour confectionner un habillement complet, et je rentrai dans l’arrière-boutique pour me faire prendre mesure ; car, bien que M. Trabb eût déjà ma mesure, et qu’il s’en fût contenté jusque là, il me dit, en manière d’excuse, qu’elle ne pouvait plus convenir dans les circonstances actuelles, que c’était même de toute impossibilité. Ainsi donc, M. Trabb me mesura et calcula dans l’arrière-boutique comme si j’eusse été une propriété et lui le plus habile des géomètres ; il se donna tant de peine, que j’emportai la conviction que la plus ample facture ne pourrait le dédommager suffisamment. Quand il eut fini et qu’il fut convenu qu’il enverrait le tout chez M. Pumblechook, le jeudi soir, il dit en tenant sa main sur la serrure de l’arrière-boutique :

« Je sais bien, monsieur, que les élégants de Londres ne peuvent en général protéger le commerce local ; mais si vous vouliez venir me voir de temps en temps, en qualité de compatriote, je vous en serais on ne peut plus reconnaissant. Je vous souhaite le bonjour, monsieur, bien obligé !… La porte ! »

Ce dernier mot était à l’adresse du garçon, qui ne se doutait pas le moins du monde de ce que cela signifiait ; mais je le vis se troubler et défaillir pendant que son maître m’époussetait avec ses mains, tout en me reconduisant. Ma première expérience de l’immense pouvoir de l’argent fut qu’il avait moralement renversé le garçon du tailleur Trabb.

Après de mémorable événement, je me rendis chez le chapelier, chez le cordonnier et chez le bonnetier, tout en me disant que j’étais comme le chien de la mère Hubbart, dont l’équipement réclamait les soins de plusieurs genres de commerce. J’allai aussi au bureau de la diligence retenir ma place pour le samedi matin. Il n’é-