Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/368

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parés en traversant la cour du fond, il me demanda combien de fois j’avais vu miss Havisham manger et boire, me donnant comme de coutume à choisir entre cent fois et une fois.

Je réfléchis et je répondis :

« Jamais !

— Et jamais vous ne la verrez, Pip, reprit-il avec un singulier sourire ; elle n’a jamais souffert qu’on la voie faire l’un ou l’autre depuis qu’elle a adopté ce genre de vie. La nuit elle erre au hasard dans la maison et prend la nourriture qu’il lui faut.

— Permettez, monsieur, dis-je, puis-je vous faire une question ?

— Vous le pouvez, dit-il, mais je suis libre de refuser d’y répondre. Voyons votre question.

— Le nom d’Estelle est-il Havisham, ou bien… »

Je n’avais rien à ajouter.

« Ou qui ? dit-il.

— Est-ce Havisham ?

— C’est Havisham. »

Cela nous mena jusqu’à la table où elle et Sarah Pocket nous attendaient. M. Jaggers présidait. Estelle s’assit en face de lui. Nous dînâmes fort bien, et nous fûmes servis par une servante que je n’avais jamais vue pendant mes allées et venues, mais qui, je le sais, avait toujours été employée dans cette mystérieuse maison. Après dîner, on plaça devant mon tuteur une bouteille de vieux porto ; il était évident qu’il se connaissait en vins, et les deux dames nous laissèrent. Je n’ai jamais vu autre part, même chez M. Jaggers, rien de pareil à la réserve que M. Jaggers affectait dans cette maison. Il tenait ses regards baissés sur son assiette, et c’est à peine si pendant le dîner il les dirigea une seule fois sur Estelle. Quand