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Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/80

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« Attends un peu, je sais ce que tu veux dire, mon petit Pip, attends un peu ! Je ne nie pas que Mrs Joe ne nous traite quelquefois comme des nègres, et qu’à certaines époques elle ne nous tombe dessus avec une violence que nous ne méritons pas : à ces époques, quand ta sœur a la tête montée, mon petit Pip, je dois avouer que je la trouve un peu brusque. »

Joe n’avait dit ces paroles qu’après avoir regardé du côté de la porte, et en baissant la voix.

« Pourquoi je ne me révolte pas ?… Voilà ce que tu allais me demander, quand je t’ai interrompu, Pip ?

— Oui, Joe.

— Eh bien ! dit Joe en passant son poker dans sa main gauche, afin de pouvoir caresser ses favoris de sa main droite, ta sœur est un esprit fort, un esprit fort, un esprit fort, tu m’entends bien ?

— Qu’est-ce que c’est que cela ? » demandai-je, dans l’espoir de l’empêcher d’aller plus loin.

Mais Joe était mieux préparé pour sa définition que je ne m’y étais attendu ; il m’arrêta par une argumentation évasive, et me répondit en me regardant en face :

« Elle !… mais moi, je ne suis pas un esprit fort, reprit Joe en cessant de me regarder en face, et ce que je vais te dire est parfaitement sérieux, mon petit Pip. Je vois toujours ma pauvre mère, mourant à petit feu et ne pouvant goûter un seul jour de tranquillité pendant sa vie ; de sorte que je crains toujours d’être dans la mauvaise voie et de ne pas faire tout ce qu’il faut pour rendre une femme heureuse, et je préfère de beaucoup être un peu malmené moi-même ; je voudrais même être le seul dans ce cas, mon petit Pip, et je voudrais qu’il n’existât pas de Tickler pour toi, mon petit Pip ; je voudrais faire tout tom-