Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/82

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Effectivement, le bruit des fers de la jument se faisait entendre sur la route durcie par la gelée ; l’animal trottait même plus gaiement qu’à son ordinaire. Nous plaçâmes dehors une chaise pour aider à descendre Mrs Joe, après avoir avivé le foyer de façon à ce qu’elle pût apercevoir la lumière par la fenêtre, et s’assurer que rien n’était en désordre dans la cuisine. Quand nous eûmes terminé tous ces préparatifs, les voyageurs étaient arrivés à la porte, enveloppés jusqu’aux yeux. Mrs Joe descendit sans trop de peine et l’oncle Pumblechook aussi. Ce dernier vint nous rejoindre à la cuisine, après avoir étendu une couverture sur le dos de son cheval. Ils avaient si froid tous les deux, qu’ils semblaient attirer toute la chaleur du foyer.

« Allons, dit Mrs Joe, en ôtant à la hâte son manteau et en rejetant vivement en arrière son chapeau, qui resta suspendu par les cordons derrière son épaule ; si ce garçon-là ne montre pas de reconnaissance ce soir, il n’en montrera jamais ! »

J’avais l’air aussi reconnaissant qu’on peut l’avoir, quand on ne sait pas pourquoi on doit exprimer sa gratitude.

« Il faut seulement espérer, dit ma sœur, qu’on ne le choiera pas trop ; mais je crains bien le contraire.

— Soyez sans inquiétude, ma nièce, dit M. Pumblechook, il n’y a rien à craindre avec elle. »

Elle ?… Je levai les yeux sur Joe en lui faisant signe des lèvres et des sourcils : « Elle ? » Joe me répondit par un mouvement tout à fait semblable : « Elle ? » Ma sœur ayant surpris son mouvement, il passa le revers de sa main sur son nez, en la regardant avec l’air conciliant qui lui était habituel en ces occasions.