Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/366

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chaque partie de la vieille maison, de la brasserie, des portes et des tonneaux. Je l’avais fait, et je regardais le long d’une allée du jardin dévasté, quand j’y aperçus une ombre solitaire.

Cette ombre montra qu’elle m’avait vu, elle s’était avancée vers moi, mais elle resta immobile. En approchant, je vis que c’était l’ombre d’une femme. Quand j’approchai davantage encore, elle fut sur le point de s’éloigner, alors elle fit un mouvement de surprise, prononça mon nom, et je m’écriai :

« Estelle !

— Je suis bien changée… Je m’étonne que vous me reconnaissiez. »

La fraîcheur de sa beauté était en effet partie, mais sa majesté si indescriptible et son charme indescriptible étaient restés. Ces perfections, je les connaissais. Ce que je n’avais pas encore vu, c’était le regard adouci, attristé de ses yeux, autrefois si fiers ; ce que je n’avais pas encore vu, c’était la pression affectueuse de sa main autrefois insensible.

Nous nous assîmes sur un banc près de là, et je dis :

« Après tant d’années, il est étrange que nous nous rencontrions, Estelle, ici même, où nous nous sommes vus pour la première fois. Y venez-vous souvent ?

— Je ne suis jamais revenue ici depuis…

— Ni moi. »

La lune commençait à se lever, et je pensai au regard placide dirigé vers le plafond blanc par celui qui n’était plus. La lune commençait à se lever, et je pensai à la pression de sa main sur ma main, quand je lui eus dit les dernières paroles qu’il eût entendues sur terre.

Estelle rompit la première le silence qui s’était établi entre nous.

« J’ai très-souvent espéré et désiré revenir, mais