Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/226

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visage était un drôle de chef-d’œuvre, tout contourné, tout raboteux, mais où régnait un air de bonne humeur, et dont les yeux devaient avoir eu une fort joyeuse expression, car ils jetaient encore des étincelles. Le savetier avait soixante ans d’âge, et Dieu sait combien de prison, de sorte qu’il était assez singulier de découvrir encore en lui quelque chose qui approchât de la gaieté. C’était un petit homme ; et comme il était replié dans son lit, il paraissait à peu près aussi long qu’il aurait dû l’être, s’il n’avait point eu de jambes. Il tenait dans sa bouche une grosse pipe rouge, et, tout en fumant, il envisageait la chandelle avec une béatitude véritablement digne d’envie.

« Y a-t-il longtemps que vous êtes ici ? lui demanda Sam, après un silence de quelques minutes.

— Douze ans, répondit le savetier en mordant, pour parler, le bout de sa pipe.

— Pour mépris envers la cour de chancellerie ? » demanda Sam.

Le savetier fit un signe affirmatif.

« Eh bien ! alors, reprit Sam avec mécontentement, pourquoi vous embourbez-vous dans votre obstination, à user votre précieuse vie ici, dans cette grande fondrière ? Pourquoi ne cédez-vous pas, et ne dites-vous pas au chancelier que vous êtes fâché d’avoir manqué de respect à la cour, et que vous ne le ferez plus ?. »

Le savetier mit sa pipe dans le coin de sa bouche, pour sourire, et la ramena ensuite à sa place, mais ne répondit rien.

« Pourquoi ? reprit Sam avec plus de force.

— Ah ! dit le savetier, vous n’entendez pas bien ces affaires-là. Voyons, qu’est-ce que vous supposez qui m’a ruiné ?

— Eh !… fit Sam, en mouchant la chandelle, je suppose que vous avez fait des dettes pour commencer ?

— Je n’ai jamais dû un liard ; devinez encore.

— Eh bien ! peut-être que vous avez acheté des maisons, ce qui veut dire devenir fou en langage poli ; ou bien que vous vous êtes mis à bâtir, ce qu’on appelle être incurable, en langage médical. »

Le savetier secoua la tête et dit : « Essayez encore.

— J’espère que vous ne vous êtes pas amusé à plaider ? poursuivit Sam, d’un air soupçonneux.

— C’est pas dans mes mœurs. Le fait est que j’ai été ruiné pour avoir fait un héritage.