Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/215

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— Ma conduite, Pugstyles, dit M. Gregsbury promenant ses regards sur la députation avec autant de grâce que de magnanimité, ma conduite a été, comme elle le sera toujours, dirigée par un respect sincère des intérêts vrais et réels de ce grand et fortuné pays. Que je regarde chez nous ou à l’étranger ; que je considère les paisibles et industrieuses communes de notre royaume insulaire, ses rivières sillonnées par des bateaux à vapeur, ses chemins de fer couverts de locomotives, ses rues qui fourmillent de voitures publiques, son firmament de ballons d’une grandeur et d’une puissance inconnue dans l’histoire des aéronautes du monde entier ; en un mot, que je concentre mes regards sur ma patrie, ou que, les étendant plus loin, je contemple l’horizon sans bornes des conquêtes et des établissements dus à la patience britannique, qui se déroulent devant moi, je ne puis m’empêcher, dans mon admiration, de joindre les mains avec extase, de lever les yeux vers la voûte céleste au-dessus de ma tête et de m’écrier : Je te rends grâces, ô ciel, d’être un enfant de la Grande-Bretagne. »

Il fut un temps où cet élan d’enthousiasme aurait trouvé un écho dans tous les cœurs de ses électeurs ; mais, pour le moment, la députation l’accueillit par un air de froideur glaciale. On semblait généralement croire que cette explication de la conduite politique de M. Gregsbury péchait au moins par le défaut de détails. Il y eut même un gentleman au fond de la salle qui ne se fit pas scrupule d’observer à haute voix qu’à son avis, cette justification sentait un peu la blague.

« Voilà un mot, la blague, dit M. Gregsbury, dont je ne connais pas la signification. Si l’on veut dire par là que je suis un peu trop ardent, peut-être même hyperbolique, dans mon admiration pour mon pays natal ; j’accepte ce reproche, je puis l’avoir mérité. Oui, je suis fier de ce pays de bonheur et de liberté : mon œil brille, ma poitrine se dilate, mon cœur se gonfle, mon sein s’enflamme, mon être entier se transforme toutes les fois que je songe à sa grandeur et à sa gloire.

— Nous voudrions, monsieur, reprit M. Pugstyles plus calme, vous adresser seulement quelques questions.

— Volontiers, mes amis. Mon temps est à vous et à mon pays, » dit M. Gregsbury.

Après cette permission, M. Pugstyles mit ses lunettes et tira de sa poche un morceau de papier sur lequel se trouvait écrit le programme de la séance. Presque tous les autres membres de la députation mirent aussi la main à la poche pour en tirer leur papier, sans doute dans l’intention de suivre, et, au besoin, de