Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/234

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Je m’imagine, mademoiselle, reprit Mme Mantalini, que cela devait ressembler beaucoup à des pieds bots.

— Ah bon ! je vous reconnais bien là, reprit Mlle Knag. Ah ! ah ! ah ! des pieds bots ; excellent ! c’est ce que je dis toujours à ces demoiselles. La vérité est que, de toutes les personnes d’une humeur enjouée que j’ai pu connaître (tant pis pour celles qui s’en formaliseraient), Mme Mantalini, comme je le dis toujours à ces demoiselles, est certainement la plus remarquable ; et cependant, je puis me flatter d’en avoir entendu bien d’autres ; car, du vivant de mon cher père, c’était moi qui tenais sa maison, mademoiselle Nickleby. Nous avions toutes les semaines à souper deux ou trois jeunes gens des plus connus par leur esprit ; mais celui de Mme Mantalini est si gai, si piquant, et si bienveillant en même temps (comme je le disais encore ce matin à Mlle Simmonds) que je suis encore à me demander où, quand et comment elle a pu apprendre tout cela. »

Ici Mlle Knag fit une pause pour reprendre sa respiration, et nous en profiterons pour observer, non pas qu’elle était merveilleusement bavarde, et merveilleusement obséquieuse envers Mme Mantalini ; ce sont des choses qui ressortent assez d’elles-mêmes et qui n’ont pas besoin de commentaires ; mais nous devons dire qu’elle avait l’habitude d’introduire à chaque instant dans son flux de paroles un hem ! perçant, clair, bruyant, dont ses connaissances interprétaient la signification et la portée de plusieurs manières différentes. Les uns disaient que tout n’était pas de bon aloi, dans les exagérations de Mlle Knag, et qu’elle avait recours à ce monosyllabe, comme l’ouvrier du timbre, à la Monnaie, toutes les fois que son cerveau avait à faire descendre son balancier pour frapper quelque fausse pièce nouvelle qu’elle voulait mettre en circulation. D’autres prétendaient que c’était quand elle cherchait un mot, qu’elle mêlait cette interjection à son discours, pour se donner du temps et pour garder la place, de peur qu’un étranger, la trouvant vacante, ne se substituât dans la conversation. Il est encore bon d’observer que Mlle Knag visait toujours à la jeunesse, quoiqu’elle eût, depuis des années, bien dépassé ce but ; puis aussi, que son esprit inconstant et léger la rangeait dans la classe de ces personnes dont on dit communément qu’on peut s’y fier tant qu’on les a sous la main, mais qu’il n’y faut plus compter sitôt qu’on les quitte d’un moment.

« Vous aurez soin de faire connaître les heures à Mlle Nickleby, et ainsi de suite, dit Mme Mantalini ; je n’ai plus qu’à vous la laisser ; vous vous rappellerez bien mes instructions, mademoiselle Knag. »