Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/246

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part d’un gentleman extrêmement riche. Elle en resta là pour les inviter à venir souper en famille, et l’offre fut acceptée.

« Ne vous sauvez pas, Mortimer, dit miss Knag en entrant dans la boutique ; ce n’est rien, c’est seulement une de nos demoiselles avec sa mère : Mme et Mlle Nickleby.

— Oh ! vraiment, dit M. Mortimer Knag ; ah ! »

Après s’être risqué à prononcer ces interjections d’un air profond et pensif, M. Knag moucha majestueusement deux chandelles de suif sur son comptoir, deux autres dans la montre, et tira de la poche de son gilet sa tabatière ; il y puisa du tabac qu’il se souffla dans le nez. Il y avait quelque chose de très imposant dans l’air mystérieux qui présidait à tous ces détails, et, comme M. Knag était un grand maigre à traits prononcés, portant lunettes, et beaucoup moins riche en cheveux qu’un monsieur de quarante ans ou à peu près peut ordinairement se flatter de l’être, Mme Nickleby dit tout bas à sa fille que ce devait être un homme de lettres.

« Dix heures passées ! dit M. Knag en consultant sa montre, Thomas, fermez le magasin. » Thomas était un garçon à peu près de la taille du volet qu’il emportait et le magasin pouvait bien avoir la contenance de trois fiacres.

« Ah ! dit M. Knag poussant encore ses interjections accompagnées d’un profond soupir, tout en rendant à la planche fidèle le livre qu’il venait de lire. Bon ! je crois que le souper est prêt, ma sœur. »

Encore un soupir de M. Knag pour prendre sur le comptoir les chandelles de suif et précéder les dames, d’un pas funèbre, dans une petite salle sur le derrière où une femme de ménage employée, pendant l’absence de la domestique malade, moyennant trente-six sous par jour à retenir sur les gages de l’autre, était en train de servir le souper.

« Madame Blockson, dit Mlle Knag d’un ton de reproche, ne vous ai-je pas déjà défendu cent fois de venir dans la chambre avec votre chapeau sur la tête ?

— Je ne peux m’en empêcher, mademoiselle Knag, dit la femme de ménage qui prenait feu pour rien. Il y avait tant à nettoyer dans cette maison ! et d’ailleurs, si cela ne vous convient pas, donnez-vous la peine d’en chercher une autre : je ne suis pas déjà si bien payée de mes peines, et c’est la vérité, quand on devrait me couper par morceaux.

— Point d’observation, s’il vous plaît, reprit Mlle Knag en appuyant avec énergie sur le verbe impersonnel. Y a-t-il du feu en bas pour avoir tout de suite de l’eau chaude ?