Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/454

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n’était pas novice dans son métier, et qui répondant à Nicolas tout juste avec assez de politesse pour ne pas se compromettre, et cependant avec assez d’impertinence pour plaire à ses habitués ; non, monsieur ; je ne sais pas, monsieur.

— Et vous, monsieur, cria sir Mulberry au garçon, comme il se retirait, connaissez-vous le nom de cet individu ?

— Son nom, monsieur ? non, monsieur.

— Eh bien ! si vous voulez le savoir, vous le trouverez là-dessus, dit sir Mulberry en lui jetant la carte de Nicolas ; et puis, quand vous l’aurez déchiffré, vous me jetterez ce morceau de carton-là au feu ; vous m’entendez ? »

Le domestique ricana en regardant du coin de l’œil Nicolas, et prit un mezzo termine en plaçant la carte à la glace de la cheminée. Cela fait, il se retira.

Nicolas, se croisant les bras et se mordant les lèvres, restait sur sa chaise parfaitement immobile. Mais son attitude exprimait sa détermination bien arrêtée d’exécuter la menace qu’il avait faite à sir Mulberry de le suivre jusque chez lui.

On voyait bien aussi, au ton de quelques observations que le plus jeune de la bande faisait à son ami, qu’il n’approuvait pas sa conduite dans cette circonstance, et qu’il le pressait de satisfaire à la demande de Nicolas ; mais sir Mulberry, qui était un peu en train, et par suite dans un état d’entêtement obstiné, imposa bientôt silence aux représentations de son jeune ami, trop faible pour insister davantage, et même, pour s’en délivrer tout à fait, il voulut absolument que les autres le laissassent seul.

Le jeune gentleman et les deux inséparables se levèrent là-dessus au bout de peu de temps pour partir, et se retirèrent, laissant leur ami en tête-à-tête avec Nicolas.

Il est facile de concevoir que, dans l’état de ce jeune homme, les minutes semblaient avoir des ailes de plomb, et que le tic tac monotone d’un coucou français ou même le son criard de son petit carillon pour marquer les quarts n’étaient pas pour faire paraître plus rapide le cours des heures, mais cela ne l’empêchait pas de rester cloué sur son siège, pendant qu’en face, sir Mulberry Hawk, couché sur la banquette, les jambes sur le coussin, son mouchoir négligemment jeté sur ses genoux, achevait son flacon de bordeaux avec le sang-froid le plus intrépide et l’indifférence la plus parfaite.

Ils restèrent comme cela plus d’une heure dans un silence absolu, et une heure qui parut à Nicolas avoir duré trois heures au moins, quoique le petit carillon n’eût sonné que quatre fois.