Page:Dickens - Olivier Twist.djvu/153

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Pour donner encore plus de force à ses paroles, M. Sikes proféra un affreux jurement et continua :

« Autant que je puis le savoir, si on t’expédiait, personne au monde ne viendrait savoir de tes nouvelles : ainsi je n’aurais pas besoin de me casser la tête à te donner toutes ces explications, si ce n’était pour ton bien. Tu m’entends, hein ?

— Cela signifie tout simplement, dit Nancy en appuyant sur chaque mot pour éveiller l’attention d’Olivier, que, s’il te contrecarre le moins du monde dans l’affaire que tu as en vue, tu le mettras hors d’état de jaser en lui brûlant la cervelle, et que tu courras la chance de te faire pendre pour cela, de même que tu exposes à chaque instant ta vie pour faire ton métier.

— C’est cela ! observa M. Sikes d’un air d’approbation. Les femmes savent toujours dire les choses en peu de mots, excepté quand elles ont la tête montée… car alors, elles n’en finissent plus. Maintenant qu’il est au fait, il s’agit de souper, de faire un somme avant de partir. »

Aussitôt Nancy mit la nappe, et, après s’être absentée quelques instants, rentra avec un pot de bière et un plat de têtes de mouton, lequel fournit à M. Sikes l’occasion de faire quelques plaisanteries. Cet honnête homme, stimulé peut-être par la perspective d’une expédition immédiate, se laissa aller à un accès de gaieté et de bonne humeur. Par exemple, il trouva plaisant d’avaler toute la bière d’un seul trait, et il ne jura guère plus d’une centaine de fois pendant le repas.

Le souper fini (on comprend aisément qu’Olivier n’avait pas eu grand appétit), M. Sikes avala deux verres d’eau-de-vie et se jeta sur son lit, en ordonnant à Nancy, avec mille imprécations pour le cas où elle y manquerait, de l’éveiller à cinq heures précises. Il enjoignit à Olivier de s’étendre tout habillé sur un matelas à terre. La jeune fille attisa le feu et s’assit devant la cheminée, pour être prête à les éveiller à l’heure dite.

Olivier resta longtemps sans dormir : il pensait que peut-être Nancy chercherait l’occasion de lui donner à voix basse quelque nouvel avis ; mais elle resta immobile devant le feu. Épuisé de fatigue et d’inquiétude, l’enfant finit par s’endormir profondément.

Quand il s’éveilla, la théière était sur la table, et Sikes était occupé à mettre différents objets dans la poche de sa grande redingote, posée sur le dos d’une chaise, tandis que Nancy se donnait beaucoup de mouvement pour préparer le déjeuner. Il ne faisait pas jour ; la chandelle brûlait encore, et tout était