Page:Dickens - Olivier Twist.djvu/183

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

me faire une bosse tout tranquillement, pour la première fois depuis trois jours. »

Le juif fit signe au Matois de poser les vivres sur la table ; puis s’asseyant en face du voleur, il attendit qu’il lui plût d’entamer la conversation.

À en juger d’après les apparences, Tobie n’était pas près d’en venir là. Le juif se contenta d’observer patiemment sa physionomie, dans l’espoir d’y découvrir quelle nouvelle il apportait : ce fut en vain. Il avait l’air fatigué et abattu, mais son visage était aussi calme que d’habitude, et, malgré le désordre de sa tenue, le flambant Tobie Crackit avait l’air content de sa personne. Le juif, au comble de l’impatience, l’épiait à chaque bouchée, et parcourait la chambre en long et en large, dans un état d’agitation dont il n’était pas maître. Rien n’y fit. Tobie continua à manger sans faire attention à quoi que ce fût, jusqu’à ce qu’il fut hors d’état de manger davantage ; alors il fit sortir le Matois, ferma la porte, se versa un grog et se mit en mesure de commencer son récit.

« Pour commencer par le commencement, Fagin… dit Tobie.

— Oui, oui, » interrompit le juif en rapprochant sa chaise.

M. Crackit fit une pause pour avaler son grog, et déclara que le gin était excellent ; puis posant ses pieds sur le devant de la cheminée, de manière à mettre ses bottes au niveau de ses yeux, il reprit tranquillement :

« Pour commencer par le commencement, comment va Guillaume ?

— Comment ? s’écria le juif en se levant brusquement.

— Vous n’en avez donc pas de nouvelles ? dit Tobie en pâlissant.

— Des nouvelles ! repartit le juif en frappant du pied avec fureur… Où sont-ils ? Sikes et l’enfant. Où sont-ils ? que sont-ils devenus ? où sont-ils cachés ? pourquoi ne sont-ils pas ici ?

— L’affaire a raté, dit timidement Tobie.

— Je le sais, répondit le juif en tirant de sa poche un journal. Et après ?

— On a fait feu et atteint l’enfant ; nous avons battu en retraite à travers champs, l’enfant entre nous deux… à vol d’oiseau, franchissant haies et fossés. On nous donnait la chasse. Miséricorde ! tout le pays était sur pied et les chiens à nos trousses.

— L’enfant ? dit le juif d’une voix étouffée.