Page:Dickens - Olivier Twist.djvu/190

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— Non ! répliqua le juif avec colère ; elle n’est pas de mon goût du tout.

— Eh bien ! que voulez-vous y faire ? répondit la jeune fille en riant.

— Ce que je veux y faire ! s’écria le juif, exaspéré de l’obstination inattendue de son interlocutrice, et des désagréments de la soirée ; tu vas voir ce que je veux y faire ; écoute-moi, carogne ! Écoute-moi bien, moi qui n’ai que trois mots à dire pour étrangler Sikes aussi sûrement que si je tenais en ce moment son cou de taureau entre mes mains. S’il revient, et qu’il ne ramène pas l’enfant, s’il l’a laissé échapper, s’il ne me le rend pas mort ou vif, assassine-le toi-même si tu veux lui épargner la potence, et cela dès qu’il aura mis le pied dans cette chambre, ou, crois-moi, il sera trop tard.

— Qu’est-ce que tout cela veut dire ? s’écria involontairement la jeune fille.

— Ce que tout cela veut dire ? continua Fagin en fureur, voici… Quand cet enfant peut me valoir des centaines de livres sterling, dois-je perdre une chance si heureuse, un profit assuré, par la faute d’une bande d’ivrognes à qui je pourrais couper le sifflet, et me mettre à la merci d’un brigand à qui il ne manque que la volonté, mais qui a le pouvoir de… de… »

Le vieillard était hors d’haleine et balbutiait ; tout à coup son accès de colère s’apaisa, et son maintien changea complètement. Lui, qui, un instant auparavant, était là se tordant les mains, respirant à peine, les yeux hagards, le visage pâle de fureur, se laissa tomber sur une chaise et, s’affaissant sur lui-même, trembla de crainte de s’être trahi. Après un court silence, il se hasarda à jeter les yeux sur sa compagne, et parut un peu rassuré en la voyant dans la même attitude insouciante où il l’avait trouvée en entrant.

« Nancy, ma chère ! grommela le juif, en reprenant sa voix ordinaire : as-tu fait attention à ce que je t’ai dit ?

— Ne me fatiguez pas, Fagin ! répondit la jeune fille en levant nonchalamment la tête ; si Guillaume n’a pas réussi cette fois-ci, il réussira un autre jour ; il a fait pour vous plus d’un bon coup, et il en fera bien d’autres quand il le pourra. À l’impossible nul n’est tenu ; ainsi, n’en parlons plus.

— Et cet enfant, ma chère ? dit le juif, se frottant les mains avec une vivacité nerveuse.

— L’enfant doit courir les mêmes chances que les autres, interrompit Nancy ; d’ailleurs, je le répète, j’espère qu’il est