Page:Dickens - Olivier Twist.djvu/189

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« Elle a bu, pensa le juif, ou peut-être a-t-elle du chagrin. »

Tout en faisant cette réflexion, le vieux juif se retourna pour fermer la porte, et le bruit réveilla la jeune fille. Elle le regarda dans le blanc des yeux, lui demanda s’il y avait du nouveau, et écouta le récit qu’il lui fit des aventures de Tobie Crackit ; quand il eut fini, elle reprit sa première attitude, la tête sur la table, et ne dit pas un mot. Elle poussa le chandelier avec impatience, et une fois ou deux, en changeant de position avec un mouvement saccadé et nerveux, elle frotta ses pieds sur le plancher ; mais ce fut tout.

Pendant ce silence, le juif promenait autour de la chambre des regards inquiets, comme pour s’assurer que Sikes n’était pas revenu en cachette ; satisfait sans doute de son examen, il toussa deux ou trois fois et essaya à plusieurs reprises d’engager la conversation ; mais la jeune fille ne fit pas plus attention à lui que s’il n’y était pas. Il finit par faire une dernière tentative, et, se frottant les mains, il lui dit du ton le plus caressant :

« Où penses-tu que Guillaume puisse être maintenant, ma chère ? »

La jeune fille murmura d’une voix plaintive et à peine intelligible qu’elle n’en savait rien ; elle avait l’air de sangloter.

« Et l’enfant ? dit le juif, fixant les yeux sur elle pour lire dans l’expression de son visage. Pauvre petit être ! abandonné dans un fossé ! Nancy ! qu’est-ce que tu dis de ça ?

— L’enfant ! dit-elle en levant vivement la tête, l’enfant est mieux où il est que parmi nous ; et, pourvu qu’il n’en résulte rien de fâcheux pour Guillaume, je souhaite qu’il soit mort dans le fossé, et que ses pauvres os y blanchissent.

— Comment ! s’écria le juif stupéfait.

— Oui, c’est comme cela, reprit la jeune fille en le regardant fixement. Je serais heureuse de ne plus le voir et de savoir que ses épreuves sont terminées. Je ne puis supporter de l’avoir autour de moi ; sa vue seule me fait prendre en haine et moi-même, et vous tous.

— Fi ! dit le juif avec dédain ; tu es ivre, ma fille.

— Moi ! dit-elle avec amertume ; ce n’est pas votre faute si je ne le suis pas ; vous ne demanderiez pas mieux que de me voir toujours en cet état, excepté peut-être en ce moment. Il paraît que l’humeur où vous me trouvez n’est pas de votre goût, n’est-ce pas ?