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CHAPITRE XL.
Étrange entrevue, qui fait suite au chapitre précédent.

La jeune fille avait traîné son existence dans les rues, dans les bouges et les repaires les plus dégoûtants de Londres ; mais il lui restait encore cependant quelque chose des sentiments de la femme. Quand elle entendit un pas léger s’approcher de la porte opposée à celle par laquelle elle était entrée, quand elle pensa au contraste frappant dont la petite chambre allait être témoin, elle se sentit accablée sous le poids de sa propre honte et recula ; elle semblait ne pouvoir supporter la présence de la personne qu’elle avait désiré voir.

Mais l’orgueil entra en lutte avec ces bons sentiments ! l’orgueil, vice inhérent aux êtres les plus bas et les plus dégradés aussi bien qu’aux natures les plus nobles et les plus élevées. L’infâme compagne des brigands et des scélérats, le rebut de leurs cloaques impurs, la complice de tous ces habitués des prisons et des bagnes, cette femme qui vivait à l’ombre du gibet, cette créature avilie avait encore trop de fierté pour laisser percer un sentiment d’émotion qu’elle regardait comme une faiblesse. Et pourtant, ce sentiment était le seul lien qui la rattachât encore à son sexe, dont sa vie de débauche avait effacé le caractère dès sa plus tendre enfance.

Elle releva assez les yeux pour s’apercevoir que la figure qui était devant elle était celle d’une gracieuse et belle jeune fille ; puis elle les baissa aussitôt, et secouant la tête en affectant la plus grande insouciance, elle dit :

« Il est bien difficile de pénétrer jusqu’à vous, mademoiselle. Si je m’étais fâchée, si j’étais partie comme beaucoup d’autres l’auraient fait, vous en auriez eu du regret un jour et pour cause.

— Je suis désolée qu’on vous ait mal reçue, répliqua Rose. N’y pensez plus. Mais dites-moi ce qui vous amène ; c’est bien à moi que vous vouliez parler ? »

Le ton bienveillant qui accompagna cette réponse, la voix douce et les manières affables de la jeune fille, qui ne trahis-