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étaient les rues les plus populeuses, et par conséquent celles qu’il devait le plus éviter, il traversa Saint-John’s Road et s’enfonça bientôt entre Gray’s Inn Lane et Smithfield dans les rues tortueuses et sales, qui font de ce quartier le plus hideux repaire qui ait jusqu’ici défié les progrès de la civilisation dans la ville de Londres.

Noé Claypole enfila ces ruelles, traînant Charlotte derrière lui : tantôt il s’arrêtait, les pieds dans le ruisseau, pour embrasser d’un seul coup d’œil la physionomie de quelque mauvais bouchon ; tantôt il se glissait le long de la muraille, comme si la maison lui paraissait encore trop fréquentée pour lui. Enfin, il s’arrêta devant une taverne de plus chétive apparence et beaucoup plus dégoûtante que toutes celles qu’il avait vues jusqu’alors. Il traversa la rue pour bien l’examiner du côté opposé, et annonça gracieusement à sa compagne son intention d’y passer la nuit.

« Allons ! donne-moi le paquet, dit Noé défaisant les bretelles, et le repassant des épaules de Charlotte sur les siennes, et surtout ne parle pas que je ne te le dise. Voyons, quel est le nom de cette maison-là ? Aux t-r-oi-s, aux trois quoi ?

— Aux Trois Boiteux, dit Charlotte.

— Aux Trois Boiteux, répéta Noé ; très jolie enseigne, ma foi ! Allons, maintenant, suis mes talons de près, et entrons. »

Après avoir donné ces ordres, il poussa de son épaule la porte criarde, et entra suivi de Charlotte.

Il n’y avait au comptoir qu’un petit juif, qui, appuyé sur ses deux coudes, était en train de lire un sale journal. Il regarda Noé fixement ; celui-ci en fit autant.

Si Noé avait porté son vêtement de garçon de charité, les grands yeux que lui faisait le juif auraient eu un motif ; mais non : il avait laissé de côté l’habit et la plaque ; il portait une blouse : il n’y avait donc pas de raison apparente pour éveiller ainsi l’attention dans une taverne.

« Est-ce ici les Trois Boiteux ? demanda Noé.

— Oui, c’est l’enseigne de la maison, répliqua le juif.

— Nous avons rencontré sur le chemin en venant de la campagne quelqu’un qui nous a recommandé cet endroit-ci, » dit Noé, et il fit signe de l’œil à Charlotte, peut-être autant pour lui faire remarquer la ruse adroite dont il était inventeur, que pour l’avertir d’écouter tout ça sans montrer de surprise. « Nous désirons passer la nuit ici.