Page:Dickens - Olivier Twist.djvu/89

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C’est bien heureux que je n’aie reçu que la bière, et non pas le pot, sans quoi j’aurais fait à quelqu’un son affaire. Je n’aurais jamais cru qu’un vieux coquin de juif pût jeter autre chose que de l’eau, et encore pour le plaisir de frauder la compagnie des eaux filtrées. Que se passe-t-il donc, Fagin ? Morbleu, ma cravate est pleine de bière… Vas-tu entrer, animal ? Qu’est-ce que tu fais là dehors ? As-tu honte de ton maître ? Ici ! »

L’homme qui parlait ainsi, d’un ton bourru, était un solide gaillard d’environ trente-cinq ans, portant une redingote noire de velours grossier, une vieille culotte grise, des brodequins lacés et des bas de coton bleu, qui cachaient de grosses jambes massives, de ces jambes auxquelles il semble toujours manquer quelque chose, quand elles ne portent pas une bonne chaîne. Il avait un chapeau brun, et autour du cou un vieux foulard, avec les bouts éraillés duquel il s’essuyait le visage ; tout en parlant, et, quand il eut fini, il laissa voir une grosse figure commune, avec une barbe qui n’avait pas été rasée depuis trois jours, et deux yeux sinistres, dont l’un portait la trace d’un coup récent.

« Ici ! entendez-vous ? » s’écria ce bandit à mine rébarbative.

Un barbet, la tête déchirée en vingt endroits, entra en rampant dans la chambre.

« Vous y mettez le temps, dit l’homme. Vous êtes trop fier pour me reconnaître devant le monde, n’est-ce pas ? Couchez là ! »

Cette injonction fut accompagnée d’un coup de pied qui envoya l’animal à l’autre bout de la chambre. Il semblait, du reste, habitué à ce traitement ; car il se blottit tranquillement dans un coin, sans pousser un cri, fermant et ouvrant ses vilains yeux vingt fois par minute, et paraissant occupé à faire l’inspection de l’appartement.

« Après qui en avez-vous donc ? dit l’homme en s’asseyant d’un air résolu. Vous maltraitez les enfants, vieil avare, vieux ladre, vieux fesse-mathieu. Ça m’étonne qu’ils ne vous assassinent pas ; à leur place, je me payerais ça ; si j’avais été votre apprenti, il y a longtemps que la farce serait jouée, et… Mais non ; je ne pourrais pas seulement vendre votre peau ; vous seriez tout au plus bon à mettre en bouteille pour être montré comme un prodige de laideur, mais je crois qu’on n’en souffle pas d’assez grandes.