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CHAPITRE VII.

Où M. Chevy Slyme fait voir l’indépendance de son caractère, et où le Dragon bleu perd un membre.


Dès le lendemain, dans la matinée, Martin se mit à son plan de collège ; il apporta à ce travail tant d’ardeur et de facilité d’exécution, qu’il fournit à M. Pinch un motif de plus pour rendre hommage aux qualités naturelles du jeune gentleman, et lui reconnaître une immense supériorité sur lui. Le nouvel élève reçut très-gracieusement les compliments de Tom ; et comme, de son côté, il avait conçu pour lui une estime réelle, il lui prédit qu’ils resteraient les meilleurs amis du monde, et qu’aucun d’eux, il en était certain (mais Tom en était plus convaincu que personne) n’aurait jamais lieu de regretter le jour où ils avaient fait connaissance. M. Pinch fut enchanté de l’entendre parler ainsi, si enchanté en recevant ces chaleureuses assurances d’amitié et de protection, qu’il ne trouvait pas d’expression pour traduire le plaisir qu’il en éprouvait. Et, à propos de cette amitié, nous ferons remarquer qu’elle semblait par sa nature, promettre plus de durée que bien des associations fondées sur des serments solennels : car, aussi longtemps que des deux parties l’une devait se plaire à exercer son patronage, et l’autre à le subir (or c’était l’essence même du caractère des deux nouveaux amis), il n’était guère probable de voir surgir entre eux, pour rompre leur alliance, ces deux démons fraternels qu’on appelle l’Envie et l’Orgueil. Ainsi, dans bien des cas, pour l’amitié, ou du moins pour ce qui en a le nom, il faut retourner le vieil axiome et dire : « Qui ne ressemble pas s’assemble. »

Les deux jeunes gens étaient fort occupés dans l’après-midi qui suivit le départ de la famille. Martin dressait son plan de collège, et Tom balançait des comptes de revenus, en déduisant sur les chiffres la commission de M. Pecksniff, opération abstraite dans laquelle il était passablement dérangé par l’habitude qu’avait son ami de siffler comme un merle tout en dessinant. Ils ne furent pas médiocrement surpris de voir se glisser dans ce sanctuaire du génie, sans avertissement préalable