Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/126

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une tête humaine qui, malgré son poil hérissé, sa physionomie peu rassurante, leur adressait, du seuil de la porte, un sourire affable, avec une expression combinée de finesse, de sympathie et de bienveillance.

« Je ne suis pas très-laborieux par moi-même, mes gentlemen, dit la tête, mais je sais apprécier cette qualité chez les autres. Je voudrais vieillir et grisonner, si ce n’était déjà fait, en compagnie du génie, l’un des plus adorables privilèges de l’esprit humain. Sur mon âme, je rends grâce à mon ami Pecksniff de m’avoir procuré la contemplation du délicieux tableau que vous présentez là. Vous me rappelez Whittington, avant qu’il fût devenu trois fois lord-maire de Londres ! Je vous en donne ma parole d’honneur immaculé, vous me rappelez tout à fait ce personnage historique : vous êtes une paire de Whittington, mes gentlemen, sauf le chat, et je ne me plains pas de cette exception ; elle m’est, au contraire, fort agréable, car je ne sympathise point avec la race féline. Je me nomme Tigg. Comment vous portez-vous ? »

Martin chercha une explication dans le regard de M. Pinch ; et Tom, qui jamais de sa vie n’avait vu M. Tigg, interrogea des yeux ce gentleman lui-même.

« Chevy Slyme ! dit M. Tigg, qui comprit son embarras, et lui envoya de la main gauche un baiser en signe d’amitié. Vous n’aurez plus d’incertitude à cet égard, quand je vous aurai annoncé que je suis l’agent accrédité de Chevy Slyme, l’ambassadeur de la cour de Chiv ! … Ha ! ha ! ha !

— Hé ! demanda Martin, que ce nom bien connu avait fait tressaillir, que me veut-il, je vous prie ?

— Si vous vous nommez Pinch…

— Nullement, interrompit Martin. Voici M. Pinch.

— Si c’est là M. Pinch, s’écria Tigg, baisant de nouveau sa main et se mettant à suivre sa tête dans la chambre, il me permettra de dire que j’estime et respecte fort son caractère, que m’a beaucoup vanté mon ami Pecksniff, et que j’apprécie profondément son talent sur l’orgue, quoique, pardonnez-moi cette expression, je n’en pince pas moi-même. Si c’est là M. Pinch, je prendrai la liberté d’émettre l’espérance qu’il est en bonne santé et n’éprouve aucune incommodité du vent d’est.

— Je vous remercie, dit Tom. Je me porte très-bien.

— Cela me charme, répliqua Tigg. Allons, ajouta-t-il, couvant ses lèvres avec la paume de sa main et les appli-