Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/191

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mère) revit dans le nez de ma fille aînée et dans le menton de la cadette.

— Je ne demande pas si elles vous ressemblent au physique. C’est au moral, au moral !

— Il ne m’appartient pas de le dire, répliqua M. Pecksniff avec un sourire gracieux. J’ai fait de mon mieux, monsieur.

— Je désirerais les voir, dit Martin ; sont-elles près d’ici ? »

Si elles étaient près, je crois bien ! Depuis le commencement de la conversation jusqu’à ce moment où elles se retirèrent avec précipitation, elles étaient à écouter à la porte. M. Pecksniff eut soin d’essuyer d’abord les larmes dont l’attendrissement avait mouillé ses yeux, pour donner ainsi à ses filles le temps de remonter l’escalier ; puis il ouvrit la porte et cria doucement dans le corridor :

« Mes mignonnes, où êtes-vous ?

— Ici, mon cher p’pa !… répondit dans le lointain miss Charity.

— Descendez au parloir, s’il vous plaît, mon amour, dit M. Pecksniff, et amenez votre sœur avec vous.

— Oui, mon cher p’pa. » cria Mercy.

Et aussitôt, en filles qui étaient tout obéissance, elles accoururent en chantonnant.

Rien ne saurait surpasser l’étonnement qu’éprouvèrent les deux demoiselles Pecksniff lorsqu’elles trouvèrent un étranger tête à tête avec leur cher papa. Rien d’égal à leur muette stupéfaction quand M. Pecksniff dit : « Mes enfants, M. Chuzzlewit ! » Mais lorsqu’il leur dit que M. Chuzzlewit avait prononcé des paroles si bienveillantes, si affectueuses qu’elles lui avaient pénétré le cœur, les deux demoiselles Pecksniff s’écrièrent à l’unisson : « Que le ciel soit béni ! » et elles sautèrent au cou du vieillard. Et quand elles l’eurent embrassé avec une ardeur et une tendresse qu’aucun mot de la langue ne saurait exprimer, elles se groupèrent autour de son fauteuil, penchées vers lui comme des innocentes qui se figuraient qu’il ne pouvait y avoir pour elle ici-bas de plus grande joie que d’accomplir ses volontés et de répandre sur le reste de sa vie cet amour dont elles eussent désiré remplir toute leur existence depuis leur enfance, si, le cruel ! il avait consenti seulement à accepter cette précieuse offrande de leur tendresse.

Plusieurs fois le vieillard porta attentivement son regard de