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Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/192

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l’une à l’autre pour le ramener sur M. Pecksniff. Il parvint à saisir le moment où l’œil de M. Pecksniff s’abaissait : car jusque-là il était resté pieusement levé, avec cette expression que les poëtes de l’antiquité ont prêtée à un oiseau de nos basses-cours quand il rend le dernier soupir au sein de la tourmente du fluide électrique.

« Quels sont leurs noms ? » demanda-t-il.

M. Pecksniff les lui dit et s’empressa d’ajouter (ses calomniateurs n’eussent pas manqué de dire que c’était en vue des idées testamentaires qui pouvaient traverser l’esprit du vieux Martin) :

« Peut-être, mes chéries, feriez-vous mieux d’écrire vous-mêmes votre nom. Votre humble orthographe n’a aucune valeur intrinsèque, mais l’affection peut en faire un souvenir.

— L’affection, dit le vieillard, s’étendra sur les originaux vivants. Ne vous donnez pas la peine, mesdemoiselles. Je ne vous oublierai pas si facilement, Charity et Mercy, pour avoir besoin de ces signes mnémoniques. Mon cousin !…

— Monsieur !… dit vivement M. Pecksniff.

— Est-ce que vous ne vous asseyez jamais ?

— Si fait… Oui… Quelquefois, monsieur, dit M. Pecksniff, qui tout le temps était resté debout.

— Voulez-vous alors vous asseoir ?

— Pouvez-vous me demander, répondit M. Pecksniff, se laissant aussitôt tomber sur un siège, si je veux faire une chose que vous désirez ?

— Vous parlez là avec bien de l’assurance, dit Martin, et je ne doute pas que vous ne pensiez ce que vous dites : mais je crains que vous ne sachiez pas ce que c’est que l’humeur d’un vieillard. Vous ignorez tout ce qu’il faut de conditions pour s’associer à ses sympathies et à ses antipathies, pour se plier à ses préjugés, à ses ordres, quels qu’ils soient ; pour supporter ses défiances et ses jalousies, et se montrer toujours zélé pour le servir. Quand je me rappelle combien j’ai d’imperfections et que j’en mesure l’énormité par les pensées injustes que j’ai depuis si longtemps nourries à votre égard, j’ose à peine réclamer votre amitié.

— Mon digne monsieur, répliqua son parent, comment pouvez-vous me dire des choses si pénibles ? Que vous ayez commis une légère méprise, y avait-il rien de plus naturel, quand à tous égards vous aviez tant de raisons légitimes, des raisons