Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/197

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

« D’autres diront (je ne parle que des gens désappointés et de mauvaise humeur) que vous avez eu recours au mensonge, à des flatteries basses et serviles, rampé comme un ver dans la fange pour vous insinuer dans ma faveur ; que vous avez fait de telles concessions et des démarches si tortueuses, que vous avez commis tant de bassesses et supporté des traitements si humiliants, que rien ne pouvait vous payer, rien, pas même le legs de la moitié du monde où nous vivons. Pourrez-vous supporter cela ? »

M. Pecksniff répondit que ces imputations, retombant jusqu’à un certain point sur le discernement de M. Chuzzlewit, lui seraient par cela même très-difficiles à supporter. Cependant il osait humblement espérer qu’il pourrait soutenir la calomnie avec le secours d’une bonne conscience et l’amitié du gentleman.

« Grâce à la foule des calomniateurs, dit le vieux Martin se renversant sur le dossier de son fauteuil, voilà, je le prévois bien, comme on va broder cette histoire. On dira que, pour mieux témoigner mon dédain à la tourbe que je méprisais, j’ai choisi dans le nombre le plus infâme, que je lui ai imposé mes volontés, que je l’ai engraissé et enrichi aux dépens de tous les autres ; qu’après avoir cherché l’espèce de châtiment qui pût le mieux percer le cœur de ces vautours et leur faire tourner la bile sur le cœur, j’ai imaginé ce moyen dans un temps ou le dernier anneau de la chaîne de reconnaissance et de devoir qui m’attachait à ma famille venait d’être cruellement rompu ; cruellement, car j’aimais bien mon petit-fils ; cruellement, car j’avais toujours compté sur son affection ; cruellement, car il la brisa quand je l’aimais le plus, mon Dieu ! et sans en éprouver d’angoisse il m’a quitté au moment où je me cramponnais à son cœur ! Maintenant, dit le vieillard, étouffant cet éclat passionné presque aussitôt après s’y être abandonné, vous croyez-vous encore capable de supporter cela ? car il faut vous attendre à toutes ces imputations, et ne comptez pas sur moi pour vous aider à les combattre.

— Mon cher monsieur Chuzzlewit, s’écria Pecksniff avec extase, pour un homme tel que vous vous êtes montré aujourd’hui ; pour un homme victime de tant d’injustice et cependant si sensible ; pour un homme si… Je ne puis trouver le mot précis ; et cependant si remarquablement… J’essaye en vain de rendre ma pensée ; pour l’homme enfin que je viens de dépeindre, j’espère pouvoir dire sans trop de présomption