Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/213

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savates, les convives purent ensuite s’abandonner librement aux plaisirs du festin.

« Vous voyez ici le château de Garçon-ville, ma cousine, dit M. Jonas à Charity. Dites donc, l’autre en rira bien quand elle sera de retour chez elle. Placez-vous ici : vous êtes à ma droite, elle sera à ma gauche. Hé, l’autre, voulez-vous venir ?

— Quand je vous dis que vous êtes un vilain homme ! répondit Mercy. Je suis sûre que je n’aurai pas pour deux liards d’appétit si je suis assise auprès de vous ; mais il le faut bien.

— Hein ! qu’elle est vive ! souffla M. Jonas à la sœur aînée, en accompagnant ces paroles de son mouvement de coude favori.

— Oh ! vraiment, que voulez-vous que je réponde à ça ? repartit aigrement miss Pecksniff. Je suis lasse de m’entendre adresser de si ridicules questions.

— Qu’est-ce qu’il fait là, mon vieux bonhomme de père ? dit M. Jonas, en voyant Anthony rôder dans la chambre, au lieu de se mettre à table. Qu’est-ce que vous cherchez ?

— J’ai perdu mes lunettes, Jonas, dit le vieil Anthony.

— Eh bien ! asseyez-vous sans vos lunettes. Ce n’est pas comme une fourchette ou une cuiller ; vous n’en avez pas besoin pour manger. Ah ! ça, où est donc ce vieux lourdaud de Chuffey ? Ici, stupide ! Oh ! vous connaissez bien votre nom. »

Il paraît cependant qu’il ne le connaissait point ; car il ne vint que sur l’appel du père. À la voix d’Anthony, la porte d’un cabinet vitré qui se détachait du reste de la pièce s’ouvrit lentement. Un petit vieillard aux yeux chassieux, à l’air misérable, s’avança d’un pas traînant. Il était poudreux et rococo, comme les meubles de la maison ; vêtu de noir sale, avec des culottes garnies aux genoux de nœuds de rubans rouillés, vrai rebut de cordons de souliers ; sur ces jambes en fuseau flottaient des bas de laine de même nuance. On eût dit qu’il avait été jeté de côté et oublié dans un coin, durant un demi-siècle, et que quelqu’un venait de le retrouver à l’instant dans un vieux garde-meuble.

Il s’avança donc, ou plutôt il rampa vers la table, jusqu’à ce qu’enfin il se laissa tomber sur une chaise inoccupée ; puis il se releva, sans doute pour saluer, aussitôt que ses facultés engourdies l’eurent averti pourtant qu’il y avait là des étrangers, et que ces étrangers étaient des dames. Mais il se laissa retomber sur sa chaise sans avoir fait ce salut ; et