votre tour, et alors, immédiatement, vous gagnez et vous empochez l’argent. M. Jonas apprit à ses cousines que ces exercices étaient en grande vogue dans les salons les plus distingués, et que l’on gagnait quelquefois de grosses sommes à ces jeux de hasard. Il est bon de faire observer que ce qu’il disait, il le croyait fermement lui-même : car la fourberie a sa simplicité non moins que l’innocence ; et, partout, où la première condition pour croire était fondée sur une foi ardente à la bassesse et à l’infamie, M. Jonas était l’un des hommes les plus crédules qu’il y eût au monde. Le lecteur peut aussi, si cela lui fait plaisir, mettre en ligne de compte son ignorance, qui était extraordinaire.
Ce charmant jeune homme avait toutes les dispositions possibles pour devenir un coquin de premier ordre : il ne lui manquait pour être un vagabond remarquable qu’un seul bon trait dans le catalogue usuel des vices propres aux débauchés, à savoir la prodigalité. Mais c’est là que l’arrêtaient à propos ses habitudes sordides et étroites ; et, comme il arrive parfois qu’un poison sert d’antidote à un autre, là où des remèdes innocents seraient inefficaces, ainsi c’était une mauvaise passion qui l’empêchait de boire à longs traits la pleine mesure du vice, lorsque la vertu eût fait de vains efforts pour le retenir.
Tandis qu’il déployait tous ses petits talents de prestidigitation, la soirée s’avançait. Comme M. Pecksniff n’avait pas l’air d’arriver, les jeunes filles exprimèrent le désir de s’en retourner chez elles. Mais, dans sa galanterie, M. Jonas ne voulut point y consentir avant qu’elles eussent pris leur part d’un ambigu composé de pain, de fromage et de porter. Et même alors il s’opposait encore à leur départ, priant souvent miss Charity de s’approcher un peu plus de lui ou de rester plus longtemps, et formulant plusieurs autres demandes de même nature, dans l’ardeur de son esprit hospitalier. Voyant qu’enfin tous ses efforts pour les retenir davantage étaient inutiles, il prit son chapeau et endossa son pardessus, afin de reconduire ses cousines à la maison Todgers ; il eut soin de leur dire que probablement elles aimeraient mieux aller à pied qu’en voiture, et que, pour sa part, il était complètement de leur avis.
« Bonne nuit, dit Anthony, bonne nuit ; rappelez-moi au souvenir de… Ha ! ha ! ha ! de Pecksniff. Mettez-vous en garde contre votre cousin, ma chère amie. Méfiez-vous de