Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/229

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pas que de se repaître d’une espérance anticipée, ce qui ne l’en rendait que plus ardent, plus persévérant dans sa tâche.

« Si jamais je devenais un grand architecte, mon cher Tom, dit un jour le nouvel élève, en se mettant à une petite distance de son dessin qu’il contemplait avec infiniment de complaisance, savez-vous quelle est l’une des choses que je voudrais bâtir ?

— Eh bien ! s’écria Tom, qu’est-ce ?

— Ce serait votre fortune.

— Vraiment ?… dit Tom Pinch, aussi charmé qui si la chose était déjà faite. Vous auriez cette obligeance ? C’est bien aimable à vous de parler ainsi.

— Oui, Tom, répliqua Martin, je la bâtirais sur des fondations tellement solides qu’elle durerait toute votre vie, et toute la vie de vos enfants, et celle de leurs enfants après eux. Je serais votre patron, Tom. Je vous prendrais sous ma protection. Allez voir que quelqu’un s’avisât de faire mauvais accueil à un homme qu’il me plairait de protéger, de patronner, une fois que je serais arrivé au pinacle !…

— Sur ma parole, dit M. Pinch, je ne crois pas que jamais rien m’ait fait autant de plaisir. Non, en vérité.

— Oh ! je le dis comme je le pense, reprit Martin, d’un air dégagé et libre vis-à-vis de son compagnon, pour ne pas dire d’un air de commisération, comme s’il était déjà le premier architecte en service ordinaire de toutes les têtes couronnées de l’Europe. Je ferais ce que je vous promets ; je m’occuperais de vous.

— Je crains bien, dit Tom en hochant la tête, de n’être jamais assez habile pour qu’on s’occupe de moi.

— Bah ! bah ! répliqua Martin. Il n’est pas question de cela. Si je me mets en tête de dire : « Pinch est un brave garçon ; je porte intérêt à Pinch, » je voudrais bien savoir qui se permettrait de me faire de l’opposition. D’ailleurs, à part même cette considération, vous pourriez m’être utile de cent manières.

— Si je n’arrivais pas à vous être utile, d’une manière ou d’une autre, ce ne serait toujours pas faute de l’avoir tenté. »

Martin réfléchit un moment.

« Par exemple, vous seriez parfait pour voir si l’on exécute exactement mes idées, pour surveiller les progrès des travaux avant qu’ils fussent arrivés au point où j’aurais à m’en occuper personnellement ; en un mot, pour faire bien marcher les