Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/230

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choses. Vous seriez magnifique pour montrer aux gens mon atelier, pour les entretenir d’art et autres sujets semblables, quand je serais occupé : car il serait diablement avantageux, mon cher Tom, (je parle sérieusement, je vous le jure) d’avoir auprès de soi un homme de votre expérience, au lieu de quelque mâchoire comme on en voit tant. Oh ! j’aurais soin de vous, et vous me seriez fort utile, soyez en certain ! »

Dire que Tom n’avait nullement la prétention de devenir premier violon dans l’orchestre du monde, mais qu’il se serait estimé heureux qu’on lui confiât la cent cinquantième partie ou à peu près dans le grand concerto, c’est donner une idée insuffisante de sa modestie. Aussi fut-il enchanté de ces châteaux en Espagne !

« Naturellement, mon cher Tom, dit Martin, je serais alors marié avec elle. »

Quelle fut l’impression qui frappa soudain Tom Pinch, au milieu même du paroxysme de la joie ? d’où vint que le sang monta à ses joues candides, et qu’un sentiment de remords gagna son cœur loyal, comme s’il ne se croyait plus digne de la bienveillance de son ami ?…

« Oui, je serais alors marié avec elle, reprit Martin qui, en souriant, leva ses yeux au ciel ; et j’espère bien que nous aurions des enfants autour de nous. Nos enfants vous aimeraient, Tom. »

M. Pinch ne répondit rien. Les mots qu’il eût voulu prononcer expirèrent sur ses lèvres, pour aller retrouver une vie plus immatérielle dans des pensées d’abnégation personnelle.

« Tous les enfants vous aiment, Tom, et naturellement les miens vous aimeraient aussi. Peut-être bien donnerais-je votre nom à l’un d’eux. Tom ! ce n’est pas du tout un nom désagréable… Thomas Pinch Chuzzlewit !… T. P. C. en initiales sur ses blouses. Vous n’y verriez pas de mal, n’est-ce pas ? »

Tom fit un petit cri de la gorge et sourit.

« Elle aurait de l’amitié pour vous, Tom, j’en suis certain.

— Vrai ?… s’écria Pinch d’une voix étouffée.

— Je puis vous dire exactement ce qu’elle penserait à votre égard, ajouta Martin, appuyant son menton sur sa main, et regardant la croisée, comme s’il lisait à travers les vitres les paroles mêmes qu’il prononçait. Je la connais si bien ! Souvent, Tom, elle commencerait par sourire quand vous viendriez à lui parler ou quand elle viendrait à vous regarder, et je vous réponds qu’elle ne s’en gênerait pas, mais cela vous