Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/250

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Est-ce une menace, monsieur ? » s’écria M. Pecksniff.

Martin le regarda sans répondre ; mais un observateur attentif eût remarqué sur ses lèvres un tiraillement de fâcheux augure, et peut-être aussi dans sa main droite un mouvement d’attraction involontaire vers la cravate de M. Pecksniff.

« Je regrette d’avoir à vous dire, monsieur, reprit l’architecte, que, si vous me menaciez, cela ne m’étonnerait pas du tout avec votre caractère. Vous m’en avez imposé ; vous avez trompé une nature que vous saviez confiante et crédule. Vous avez, monsieur, ajouta M. Pecksniff en se levant, obtenu votre entrée dans cette maison sur des déclarations mensongères et sur de faux prétextes.

— Continuez, dit Martin avec un sourire de mépris. Je vous comprends maintenant. Qu’y a-t-il encore ?

— Il y a bien pis, monsieur, cria M. Pecksniff, tremblant de la tête aux pieds et essayant de se frotter les mains comme s’il était glacé ; il y a bien pis, puisque vous me forcez de publier votre déshonneur devant un tiers, ce qui me répugnait et ce que je voulais éviter. Cette modeste maison, monsieur, ne doit pas être souillée par la présence de celui qui a trahi, et cruellement trahi, la confiance d’un honorable, chéri, vénéré et vénérable gentleman, de celui qui m’a prudemment caché cette trahison quand il a recherché ma protection et ma faveur, sachant bien que, tout humble que je suis, je suis un honnête homme, n’aspirant qu’à remplir mon devoir dans ce monde charnel, et opposant en face mon visage à tout vice et à toute fourberie. Je pleure sur votre dépravation, monsieur ; je m’afflige de votre corruption ; je gémis de vous voir quitter volontairement les sentiers fleuris de la pureté et de la paix. »

Ici, M. Pecksniff frappa sa poitrine, c’est-à-dire son jardin moral ; puis il reprit en étendant le bras pour lui montrer la porte : « Mais je ne puis garder pour hôte un lépreux, un serpent. Allez, allez, jeune homme ! De même que tous ceux qui vous connaissent, je vous renie ! »

Il nous est impossible de dire pourquoi, mais à ces mots Martin fit un bond en avant. Il suffira qu’on sache que Tom Pinch lui saisit les bras, et qu’au même moment M. Pecksniff recula si précipitamment, qu’il en perdit l’équilibre, dégringola par-dessus une chaise, et tomba assis sur le sol où il resta, la tête appuyée dans un coin, sans faire le moindre ef-