Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/251

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fort pour se relever, pensant peut-être qu’il était mieux en sûreté là qu’ailleurs.

« Laissez-moi, Pinch ! s’écria Martin le repoussant. Pourquoi me retenez-vous ? Pensez-vous qu’en le frappant on rendrait plus abject qu’il ne l’est ? Pensez-vous qu’en lui crachant à la figure je l’avilirais davantage ? Tenez, regardez-le, Pinch !… »

M. Pinch obéit involontairement. M. Pecksniff, assis, comme nous l’avons dit, sur le tapis, la tête adossée contre un coin du lambris, et portant sur lui, par-dessus le marché, les traces peu agréables d’un voyage fait par un si mauvais temps, n’était pas précisément un modèle de la beauté et de la dignité humaine. Cependant c’était Pecksniff, après tout ; il était impossible de lui enlever ce titre unique, mais tout-puissant sur le cœur de Tom, surtout lorsque, rendant à Tom, ému de pitié, un regard plein de tendresse, il eut l’air de lui dire :

« Oui, monsieur Pinch, considérez-moi ! me voici ! Vous savez ce que le poëte dit de l’honnête homme : un honnête homme, c’est une des plus rares merveilles qu’on puisse contempler gratis. Contemplez-moi !

– Je vous dis, repris Martin, qu’étendu comme il l’est, vil, misérable, un vrai torchon pour s’essuyer les mains, un paillasson pour se décrotter les pieds, un chien couchant, rampant, servile, c’est la dernière et la plus abjecte vermine du monde. Et faites attention, Pinch, un jour viendra (il le sait, voyez, c’est écrit sur sa figure, tandis que je parle), un jour viendra où vous le pénétrerez et le connaîtrez comme je le connais et comme il n’ignore pas que je le connais. Lui, me renier, lui ? Jetez les yeux sur cet homme qui renie quelqu’un, Pinch, et profitez-en pour vous en souvenir !… »

Tout ce temps-là il montrait Pecksniff du doigt avec un mépris indicible ; puis, enfonçant son chapeau sur sa tête, il s’élança hors du parloir et de la maison. Il courait si vite qu’il était déjà à quelque distance du village, quand il entendit Tom Pinch qui, tout essoufflé, l’appelait de loin.

« Eh bien ! qu’est-ce ? dit-il, lorsque Tom l’eut rejoint.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! s’écria Tom ; est-ce que vous vous en allez ?

— Je m’en vais, oui, je m’en vais !

— Je n’aurais pas cru que vous partiriez ainsi, par ce mauvais temps, à pied, sans vos effets, sans argent !

— Oui, répondit Martin d’une voix sombre, je pars.