Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/261

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— Cette blague-là ne s’emplira toujours pas de tabac, dit M. Tigg, aussi longtemps que je viendrai ici. Ah ! ah ! celui-là n’est pas mauvais ! Voyons, deux schellings six pence, mon cher ami, pour cette occasion, pour cette fois-ci seulement. C’est si joli, une demi-couronne ! Deux schellings six pence, n’est-ce pas ? Va pour deux schellings six pence ! Une fois, deux fois, trois fois, en voulez-vous pour deux schellings six pence ?

— Oh ! ce n’est pas la dernière fois que vous viendrez me la mettre en gage avant qu’elle soit entièrement usée, dit le prêteur. Et encore elle a du service ; elle en est toute jaune.

— Dites plutôt, mon ami, répliqua M. Tigg, que c’est son maître qui a jauni au service, au service patriotique d’un pays ingrat. C’est convenu, n’est-ce pas, vous la prenez pour deux schellings six pence ?

— Je la prends pour deux schellings, comme toujours. C’est encore au même nom, je suppose ?

— Oui, le même, dit M. Tigg. Mes titres de noblesse sont toujours en litige et n’ont pas encore été reconnus par la Chambre des lords.

— L’ancienne adresse ?

— Pas du tout. J’ai quitté ma résidence de ville, 38, Mayfair, pour me loger au n° 1542, Park-Lane.

— Allons donc, vous savez bien que je n’inscrirai jamais cette fausse adresse, dit le commis avec une grimace.

— Vous pouvez inscrire ce qu’il vous plaira, mon ami, dit M. Tigg, cela ne changera rien à l’affaire. Les appartements du second sommelier et du cinquième valet de pied, à Mayfair, 38, étaient trop laids et trop vulgaires ; j’ai été obligé, par égard pour les bons sentiments qui honorent ces messieurs, de prendre à bail de sept, quatorze ou vingt et un ans révocable au choix du locataire, l’élégante et commode habitation de famille de Park-Lane, n° 1542. Donnez-moi seulement deux schellings, et allez-y voir ! »

Le prêteur parut tellement charmé de cette saillie, que M. Tigg lui-même ne put réprimer un certain petit air de triomphe. Il lui vint, en outre, l’idée de voir comment son voisin de compartiment accueillait la plaisanterie ; et, pour s’en assurer, il regarda par-dessus la cloison : il reconnut immédiatement Martin à la lueur du gaz.

« Que je meure, dit M. Tigg se dressant sur ses pieds, de manière que sa tête était pour le moins autant dans le compartiment de Martin que la tête de Martin lui-même, que je