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Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/271

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— Oui, monsieur, en effet, interrompit Mark.

— Vous pouvez juger, d’après le genre de vie que je mène ici, si j’ai le moyen d’entretenir un domestique. D’ailleurs, je suis au moment de partir pour l’Amérique.

— Très-bien, monsieur, répliqua Mark, que cette confidence laissa parfaitement calme ; d’après tout ce que j’ai entendu raconter, j’ose croire que l’Amérique serait un excellent pays pour m’exercer à la jovialité. »

Martin le regarda de nouveau d’un air mécontent ; mais ce fut encore un mécontentement passager, qui disparut bientôt en dépit de lui-même.

« Ma foi ! monsieur, dit Mark, il n’y a pas besoin de tant tourner autour du pot, de jouer à cache-cache, ni d’aller par trente-six chemins, lorsque nous pouvons en trois mots arriver au but. Voilà quinze jours que je ne vous perds pas de vue, et je vois bien qu’il y a quelque chose qui cloche. La première fois que je vous aperçus au Dragon, je prévis que la chose arriverait tôt ou tard. Maintenant, monsieur, je suis ici sans position, je peux me passer de gages d’ici à un an ; car au Dragon, (je ne voulais pourtant pas, mais je n’ai pas pu m’en empêcher), j’ai fait quelques économies. J’ai un caprice pour les aventures désagréables : j’ai un caprice aussi pour vous ; je ne soupire qu’après une chose, c’est de me jeter à tort et à travers dans des aventures qui accableraient d’autres hommes. Voulez-vous me prendre ou me laisser là ? Vous n’avez qu’à parler.

— Comment pourrais-je vous prendre ? s’écria Martin.

— Quand je dis « prendre », ajouta Mark, j’entends par là, voulez-vous me laisser aller en Amérique ? Et quand je dis : « Voulez-vous me laisser aller en Amérique, » j’entends par là : « Voulez-vous me laisser y aller avec vous ? » Car de façon ou d’autre, j’irai toujours. À présent que vous avez prononcé le mot d’Amérique, j’ai vu parfaitement du premier coup que c’est le pays qu’il me faut pour devenir jovial. En conséquence, si je ne paye point mon passage sur le vaisseau où vous vous embarquerez, je le payerai sur un autre. Et notez bien mes paroles, si je pars seul, ce sera (pour mettre en pratique mon principe) sur la carcasse de vaisseau la plus disloquée, la plus détraquée, la plus crevassée, où il soit possible de monter gratis ou pour de l’argent. Ainsi, monsieur, si je péris en route, comme ce sera votre faute, attendez-vous à voir toujours à votre porte le revenant d’un noyé soulever le marteau