Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/296

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son à tue-tête ; ou bien, il écrivait des bouts de lettres aux amis du pays pour les gens qui ne savaient pas écrire ; ou bien, il débitait des plaisanteries à l’équipage ; ou bien, il trébuchait sous un paquet de mer, et sortait, à demi noyé, d’un bain d’écume lancée par la vague ; ou bien, il tendait la main aux uns et aux autres ; en un mot, il faisait toujours quelque chose pour se rendre utile à tous. La nuit, quand le feu de la cuisine brillait sur le pont, et envoyait des étincelles qui volaient parmi les agrès et montaient vers le rideau des voiles, comme pour menacer le vaisseau d’une destruction certaine par l’incendie, dans le cas où le vent et la vague conjurés ne suffiraient pas pour le perdre, M. Tapley se trouvait encore à son poste. Il mettait bas son habit, relevait jusqu’au coude les manches de sa chemise, et s’acquittait de mille soins culinaires. Il fabriquait les mets les plus étranges. Chacun le reconnaissait comme une autorité ; il aidait tous les passagers à faire des choses qu’ils n’eussent jamais entreprises ni même imaginées, s’ils avaient été abandonnés à eux-mêmes. En résumé, jamais il n’y eut homme plus populaire que ne l’était Mark Tapley à bord de ce beau et fin voilier paquebot du nom de Screw ; et il finit par exciter une admiration si générale, qu’il commença alors à se demander, avec des doutes sérieux, s’il y avait quelque mérite à être jovial dans des circonstances aussi favorables.

« Si cela devait toujours durer ainsi, disait M. Tapley, il n’existerait pas grande différence, autant que je puis en juger, entre le Screw et le Dragon. Je n’acquiers aucun mérite, et je crains maintenant que le Destin n’ait résolu de me rendre la vie trop facile.

— Eh bien, Mark, dit Martin, voyant de son lit M. Tapley occupé à ruminer là-dessus, quand est-ce que nous arriverons ?

— La semaine prochaine, dit-on, monsieur, nous entrerons probablement au port. Le vaisseau marche bien à présent, aussi bien que puisse marcher un vaisseau ; et ce n’est pas un grand éloge.

— Non, certes, répondit Martin de mauvaise humeur.

— Vous vous trouveriez bien mieux, monsieur, si vous montiez sur le pont, fit observer Mark.

— Oui, pour être aperçu par ces dames et ces gentlemen de première chambre ! répliqua Martin en pesant avec dédain sur les mots : pour qu’ils me voient confondu avec cette horde