Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/344

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— C’est vrai ! s’écria la dame. C’est la Philosophie de la Matière qui se fait le jeudi, par conséquent.

— Vous le voyez, monsieur Chuzzlewit, nos dames sont fort occupées, dit Bevan.

— Ce que vous dites est bien vrai, répondit Martin. Entre ces graves occupations du dehors et leurs devoirs de famille au logis, leur temps doit être parfaitement rempli… »

Martin s’arrêta court ; il avait vu en effet que les dames ne le regardaient pas d’un œil très-favorable, bien qu’il fût à cent lieues de deviner ce qu’il pouvait avoir fait pour mériter l’expression de dédain qui se laissait lire sur leurs traits. Mais lorsque, au bout de quelques moments à peine, elles montèrent à leurs chambres, M. Bevan lui apprit que les soins domestiques étaient fort au-dessous de la dignité de ces dames philosophes, et qu’il y avait cent à parier contre un que, sur ces trois dames, pas une ne saurait faire pour elle-même le plus facile ouvrage de femme, ni façonner pour quelqu’un de ses enfants le plus simple objet de toilette.

« Ne vaudrait-il pas mieux qu’elles eussent entre les mains des instruments aussi inoffensifs que des aiguilles à tricoter, par exemple, plutôt que ces armes à double tranchant de la philosophie ? Ceci est une autre question ; mais ce dont je puis répondre seulement, c’est qu’elles n’y gagnent pas une égratignure. Les dévotions et les lectures publiques sont nos bals et nos concerts. Nos dames vont à ces lieux de rendez-vous pour se soustraire à la monotonie de leur existence, inspecter leurs toilettes réciproques ; puis elles s’en retournent au logis comme elles sont venues.

— Par ce mot « logis, » entendez-vous une maison comme celle-ci ?

— Très-souvent. Mais je m’aperçois que vous êtes mortellement fatigué ; il faut que je vous souhaite bonne nuit. Demain matin, nous discuterons vos projets. Déjà vous ne savez que trop qu’il est inutile de rester dans cette ville où il n’y a aucune chance pour vous. Il vous faudra aller plus loin.

— Pour trouver pis ? dit Martin, citant le vieil adage.

— J’espère bien que non. Mais en voilà assez pour aujourd’hui, n’est-ce pas ?… Bonne nuit ! »

Ils se pressèrent les mains avec effusion et se séparèrent. Dès que Martin fut seul, il sentit tomber cette surexcitation de la nouveauté et du changement, qui l’avait soutenu à travers les fatigues de la journée ; et il était si abattu, si épuisé,