Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/345

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’il n’avait même pas la force de monter l’escalier et de se traîner jusqu’à sa chambre.

Dans un espace de douze à quinze heures, quelle métamorphose avaient subi ses espérances et ses beaux projets ! Neuf et étranger comme il l’était au sol qu’il foulait, à l’air qu’il respirait, il ne pouvait plus, devant tous les incidents de cette seule journée, se soustraire au triste pressentiment que son plan était décidément à vau-l’eau. Souvent, à bord du vaisseau, il l’avait trouvé téméraire et imprudent ; mais une fois arrivé, il l’avait envisagé avec plus d’espérance, tandis que maintenant il n’y voyait plus que ténèbres sombres et effrayantes. Quelques pensées qu’il appelât à son aide, elles s’offraient à lui sous des formes pénibles et décourageantes et ne lui prêtaient aucune consolation. Les diamants même qui brillaient à son doigt étaient comme des larmes étincelantes, et leur éclat ne reflétait pas un seul rayon d’espérance.

Il était resté près du poêle, toujours plongé dans ses sombres pensées, sans faire attention aux autres pensionnaires qui arrivaient un à un de leurs magasins et de leurs comptoirs, ou bien des tavernes du voisinage, et qui, après avoir donné d’amples accolades à un grand cruchon blanc rempli d’eau qui se trouvait posé au bord de la table, et s’être complu dans leur dégoûtante station au-dessus des crachoirs de métal, allaient pesamment gagner leurs lits. Enfin Mark Tapley entra et le secoua par le bras, croyant qu’il s’était endormi.

Le jeune homme tressaillit.

« Mark !… s’écria-t-il.

— Tout va bien, monsieur, dit le joyeux domestique en mouchant la chandelle avec ses doigts. Votre lit n’est pas des plus grands, monsieur ; et il ne faudrait pas un homme bien altéré, pour boire avant déjeuner toute l’eau qui doit vous servir à faire votre toilette, et pour avaler la serviette par-dessus le marché. Mais cette nuit, monsieur, vous dormirez sans roulis.

— Il me semble que la maison danse sur la mer, dit Martin qui chancela en se levant ; je suis tout brisé.

— Eh bien ! moi, je me sens jovial et gai comme un pinson, dit Mark. Mais, mon Dieu ! ce n’est pas sans raisons. Ah ! c’est ici que j’aurais dû naître ! voilà mon opinion. Prenez garde à la marche, ajouta-t-il, car ils montaient l’escalier. Vous souvenez-vous, monsieur, du gentleman qui était à bord du Screw, et qui avait cette toute petite malle ?