Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/347

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« Monsieur !… dit Mark, retirant le verre d’une manière triomphante. Si jamais il vous arrivait d’être à moitié mort, quand je ne serais pas là, tout ce que vous auriez à faire, ce serait de prier le premier venu d’aller vous chercher un savetier.

— D’aller me chercher un savetier !… répéta Martin.

— Cette admirable invention, monsieur, dit Mark, caressant doucement le verre vidé, s’appelle un savetier. Un savetier au vin de Xérès, si vous abrégez le nom. Maintenant, vous êtes en état de quitter vos bottes, et, à tout égard, vous devez vous sentir un autre homme. »

Après avoir débité cet exorde solennel, il apporta le tire-bottes.

« Songez-y bien, Mark, dit Martin, je ne retombe pas dans ma faiblesse… Mais, juste ciel ! si nous allions nous trouver relégués dans quelque partie sauvage de ce pays, sans ressources, sans argent !

— Eh bien ! monsieur, répondit l’imperturbable Tapley, d’après ce que nous avons vu jusqu’ici, j’ignore si, tout considéré, nous ne serions pas beaucoup mieux dans les parties sauvages que dans les contrées civilisées.

— Ô Tom Pinch, Tom Pinch ! dit Martin d’un ton pénétré, que ne donnerais-je pas pour être encore auprès de vous, pour entendre encore votre voix, fût-ce dans la pauvre chambre à coucher de la maison de Pecksniff !

— Ô Dragon, Dragon, dit Mark faisant un écho chaleureux, si entre vous et moi il n’y avait un peu d’eau, et si ce n’était pas une faiblesse de songer au retour, je crois que j’en dirais autant. Mais je suis ici, ô Dragon, à New-York, en Amérique, et vous, vous êtes dans le Wiltshire, en Europe ; et il faut faire fortune, ô Dragon, et la faire pour une jeune beauté ; et si vous allez voir le Monument, ô Dragon, ne vous arrêtez pas en bas des marches du perron, ou bien vous n’arriverez jamais au sommet.

— Sagement dit, Mark ! s’écria Martin. Nous devons regarder en avant.

— Dans tous les livres d’histoires que j’ai lus, monsieur, les gens qui regardaient derrière eux étaient changés en pierres ; et j’ai toujours pensé que c’était leur faute et qu’ils avaient bien mérité leur sort. Je vous souhaite une bonne nuit, monsieur, et de doux rêves.