Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/346

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— La valise ?… Oui.

— Eh bien, monsieur, on lui a rendu ce soir le linge blanc qu’on a mis à la porte de sa chambre, ici près. Vous n’avez qu’à voir, en passant, combien il a peu de chemises, mais combien il y a de devants, et vous ne serez plus étonné qu’il eût si peu de bagage. »

Mais Martin éprouvait trop de fatigue et d’accablement pour s’occuper de quoi que ce fût, encore moins d’une découverte si peu intéressante. M. Tapley, sans se laisser rebuter par son indifférence, le mena jusqu’au haut de la maison, et le fit entrer dans la chambre disposée pour le recevoir. Cette chambre, fort petite, n’avait que la moitié d’une croisée, un bois de lit semblable à un coffre sans couvercle, deux chaises, un carré de tapis comme ceux qui servent pour essayer dessus les souliers qu’on achète tout faits dans les magasins de confection en Angleterre ; un petit miroir cloué au mur, et un lavabo avec un pot dans une aiguière, qu’on eût pu prendre pour un pot au lait dans un bol.

« Je suppose que dans ce pays-ci les gens se lavent à sec avec une serviette, dit Mark ; il faut qu’ils soient tous atteints d’hydrophobie, monsieur.

— Ôtez-moi mes bottes, je vous en prie, dit Martin, se laissant tomber sur une des deux chaises. Je suis rompu, je suis à moitié mort, tant je me sens tout courbatu.

— Vous ne direz pas cela demain matin, monsieur, répliqua Mark ; vous ne le direz même plus ce soir, monsieur, quand vous aurez tâté de ceci. »

Et là-dessus, il tira un grand verre plein jusqu’aux bords de morceaux de glace transparente, parmi lesquels se trouvaient une ou deux tranches minces de citron avec une liqueur dorée, d’une apparence exquise, qui montaient à l’appel de la cuiller des profondeurs du verre, à la vue charmée du spectateur.

« Comment appelez-vous ceci ? » dit Martin.

Mais M. Tapley, sans rien répondre, se contenta de plonger un chalumeau dans le mélange, ce qui imprima un agréable mouvement aux morceaux de glace, et il indiqua, par un geste significatif, que c’était là l’agent qui devait servir à l’amateur pour pomper ce breuvage ravissant.

Martin prit le verre d’un air étonné, appliqua ses lèvres au chalumeau, et leva ses yeux avec une expression d’extase. Il ne s’arrêta pas avant d’avoir humé jusqu’à la dernière goutte.