Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/360

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

note dans le cas où le malade viendrait à guérir. Il ne faut pas que vous partiez, Pecksniff. Maintenant que les choses en sont venues là, je ne voudrais pas pour mille livres sterling n’avoir pas un témoin. »

Chuffey ne disait rien, n’entendait rien. Il s’était installé sur une chaise au bord du lit, et il restait ainsi sans faire un seul mouvement, sauf quand parfois il penchait la tête vers l’oreiller et paraissait écouter. Seulement, dans le cours de cette nuit funèbre, M. Pecksniff, ayant un peu sommeillé, se réveilla sous l’impression confuse d’avoir entendu Chuffey priser et mêler étrangement à ses prières entrecoupées des figures, non pas de rhétorique, mais d’arithmétique.

Jonas resta également assis, dans la même chambre, toute la nuit ; non pas il est vrai à une place où son père pût l’apercevoir s’il reprenait connaissance, mais caché derrière lui et se bornant à consulter les yeux de M. Pecksniff pour savoir comment allait le malade. Ce rustre grossier, qui si longtemps avait gouverné la maison en maître… maintenant aussi lâche qu’un chien couchant, n’osait seulement pas bouger et craignait de voir son ombre même flotter sur la muraille !

Le jour était revenu avec tout son éclat et son mouvement. Jonas et Pecksniff laissèrent le vieux commis veiller Anthony et descendirent déjeuner. La foule allait et venait rapidement dans la rue ; on ouvrait les portes et les fenêtres ; les voleurs et les mendiants reprenaient leurs postes accoutumés ; les ouvriers s’empressaient de se rendre à leur tâche ; les marchands rangeaient leur boutique ; les huissiers et les constables étaient à l’affût ; toutes sortes de créatures humaines, chacune de son côté, engageaient aussi vivement le combat de la vie que le vieil Anthony disputait le moindre grain du sablier presque vide, comme s’il s’agissait d’un empire.

« S’il arrive quelque chose, Pecksniff, dit Jonas, il faut me promettre que vous resterez ici jusqu’à ce que tout soit terminé. Je veux que vous voyiez que je ferai convenablement les choses.

— Je sais que vous ferez tout ce qu’il faudra, monsieur Jonas, dit Pecksniff.

— Oui, oui, mais je serais fâché qu’on en doutât. Je ne veux pas que personne ait le droit d’articuler une syllabe contre moi. Je sais bien ce qu’on va dire… comme s’il n’était pas vieux, ou que j’eusse des recettes pour lui conserver la vie ! »