Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/359

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

produit le bruit qui les avait étonnés tous deux ; mais c’était une autre horloge qui se détraquait, à force d’avoir marqué les heures, et c’était elle dont on entendait le bruit. Un cri poussé par Chuffey, un cri que les habitudes silencieuses du vieux commis rendaient cent fois plus retentissant et plus formidable, fit vibrer la maison depuis le toit jusqu’à la cave : Jonas et Pecksniff, tournant les yeux, aperçurent Anthony Chuzzlewit gisant sur le sol, et Chuffey à genoux auprès de lui.

Anthony était tombé de son siège par un soubresaut ; il était étendu là, faisant des efforts violents pour respirer ; chacune de ses veines était contractée, chacun de ses nerfs gonflé comme pour venir porter témoignage de sa vieillesse et sommer la nature de ne point se mêler de sa guérison. C’était chose effrayante de voir le principe de vie enfermé dans cette enveloppe usée lutter comme un démon farouche impatient de briser sa chaîne, et battre en brèche son ancienne prison. Un jeune homme dans la plénitude de sa vigueur, luttant avec cette énergie du désespoir, eût offert un spectacle terrible ; mais un vieux corps recroquevillé, doué d’une force extraordinaire et, à chaque mouvement de ses membres et de ses jointures, donnant un démenti à son apparence caduque, c’était un spectacle vraiment hideux.

Ils le relevèrent et allèrent chercher en toute hâte un chirurgien qui saigna le malade et lui administra quelques remèdes ; cependant les syncopes durèrent si longtemps, qu’il était minuit passé quand on put le mettre au lit, calme enfin, mais sans connaissance et épuisé.

« Ne partez pas, dit Jonas, approchant ses lèvres terreuses de l’oreille de M. Pecksniff et lui parlant tout bas de l’autre côté du lit. C’est fort heureux que vous ayez été là quand cette crise l’a saisi. On aurait pu dire que c’était ma faute.

— Vous !… s’écria M. Pecksniff.

— Je ne sais pas ce qu’ils auraient pu dire, répliqua Jonas, essuyant la sueur qui découlait de son visage pâle. On dit tant de choses !… Comment le trouvez-vous ? »

M. Pecksniff secoua la tête.

« J’avais l’habitude de plaisanter, vous savez, dit Jonas ; mais jamais je… je n’avais désiré sa mort. Croyez-vous qu’il soit si mal ?

— Le docteur l’a dit ; vous l’avez entendu, répondit M. Pecksniff.

— C’est vrai ; mais peut-être disait-il cela pour grossir sa