Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/374

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néreux porto, et dans l’autre main sa montre d’or, était adossé au bureau dans le petit cabinet vitré, et causait avec Mme Gamp. À la porte de la maison étaient deux muets, se donnait l’air aussi triste qu’on pouvait raisonnablement l’exiger de gens qui faisaient une si bonne affaire ; toutes les ressources de l’établissement de M. Mould avaient été mises en réquisition dans la maison comme au dehors ; les panaches flottaient, les chevaux hennissaient, la soie et le velours ondulaient ; en un mot, comme M. Mould le disait avec emphase : « Tout ce qu’il est possible de faire avec de l’argent, on l’a fait. »

« Et qui peut mieux faire les choses que l’argent, madame Gamp ? s’écria l’entrepreneur en vidant son verre et se léchant les lèvres.

— Rien au monde, monsieur.

— Rien au monde, répéta M. Mould. Vous avez raison, madame Gamp. Pourquoi, ajouta-t-il en remplissant de nouveau son verre, dépense-t-on plus d’argent, madame Gamp, pour un deuil que pour une naissance ? Ceci est de votre ressort ; vous devez vous y connaître. Comment expliquez-vous ce fait ?

— Peut-être parce que les charges d’entrepreneur coûtent plus cher que celles de garde, dit Mme Gamp avec un rire étouffé et en caressant de la main la robe noire toute neuve dont on venait de lui faire cadeau.

— Ah ! ah ! fit en riant M. Mould. Vous prenez le café à mes dépens ce matin, mistress Gamp. »

Mais s’apercevant, dans un petit miroir à barbe accroché en face de lui, qu’il avait l’air trop enjoué, il allongea aussitôt son visage et lui donna une expression de tristesse.

« Voilà bien longtemps, monsieur, dit Mme Gamp avec un salut courtois, que je n’ai pris mon café à mes frais, grâce à votre bonne recommandation, et j’espère bien qu’il en sera souvent de même dans l’avenir.

— Je l’espère également, s’il plaît à la Providence, repartit M. Mould. Mais, c’est égal, mistress Gamp, ce n’est pas ça ; voici le véritable motif : c’est qu’en dépensant largement vis-à-vis d’un établissement bien posé et où tout est organisé sur une grande échelle, on cicatrise les plaies des cœurs brisés et l’on verse du baume sur la douleur. Les cœurs ont besoin d’être consolés ; la douleur veut du baume quand il y a un décès, et non quand il survient une naissance. Regardez plutôt le gentleman d’aujourd’hui ; vous n’avez qu’à voir.