Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/377

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je passai la tête. Comment ! un manteau !… Ne le froissez pas trop. C’est cela. »

M. Pecksniff s’étant couvert également d’un vêtement semblable, le docteur continua ainsi :

« Et je passai la tête. Comment ? un chapeau !… Mon bon ami, celui-ci n’est pas le mien. Monsieur Pecksniff, je vous demande pardon, mais je crois pourtant que par mégarde nous avons fait un échange. Merci. Eh bien, monsieur, je vous disais donc…

— Tout est prêt, interrompit Mould à voix basse.

— Tout est prêt ? dit le docteur. Très-bien. Monsieur Pecksniff, je vous raconterai le reste dans la voiture. C’est fort curieux. Tout est prêt, n’est-ce pas ? Il n’y a pas lieu de craindre la pluie, j’espère ?

— Il fait très-beau, monsieur, répliqua Mould.

— J’avais peur que le pavé ne fût mouillé, dit le docteur ; car hier mon baromètre a descendu. Nous avons du bonheur. »

Mais voyant, sur ces entrefaites, que M. Jonas et Chuffey étaient à la porte, il appliqua sur son visage un mouchoir de poche blanc, comme s’il avait été saisi tout à coup d’un violent accès de douleur, et descendit côte à côte avec M. Pecksniff.

M. Mould et ses gens n’avaient pas exagéré la splendeur des préparatifs ; car ils étaient réellement magnifiques. Les quatre chevaux du corbillard surtout se cabraient et piaffaient et déployaient toute leur gymnastique funèbre ; on eût dit qu’ils savaient que c’était un homme qui était mort et qu’ils en fussent tout triomphants : « Ils nous domptent, ils nous attellent, ils nous montent, ils nous maltraitent, ils nous excèdent, ils nous mutilent pour leur satisfaction ; mais ils meurent ! hourra ! ils meurent ! »

C’est ainsi que le cortège funèbre d’Anthony Chuzzlewit passait à travers les rues étroites et les obscures ruelles de la ville. M. Jonas regardait à la dérobée, par la portière de la voiture, pour juger de l’effet que le convoi produisait sur le public ; chemin faisant, M. Mould écoutait avec modestie les exclamations des assistants ; le docteur continuait à débiter à demi-voix son histoire à M. Pecksniff, sans paraître approcher davantage de la conclusion ; et le pauvre vieux Chuffey sanglotait dans son coin sans que personne prît garde à lui. Mais il avait grandement scandalisé M. Mould, dès le début de la cérémonie, en fourrant son mouchoir au fond de son