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CHAPITRE XXI.

Nouvelles expériences de l’Amérique. — Martin prend un associé et fait une acquisition. — Renseignements sur Éden, d’après le plan ; item sur le lion britannique ; item sur la nature de la sympathie professée et exercée par l’association des Sympathisants réunis pour les toasts à l’eau ; autrement dite : watertoast association.


Le coup appliqué à la porte de M. Pecksniff n’offrait pas, malgré sa vigueur retentissante, la moindre ressemblance avec le bruit d’un train lancé à toute vapeur sur un chemin de fer américain. Il est bon de commencer le présent chapitre par cette déclaration sincère, de peur que le lecteur n’imagine que les rumeurs qui nous étourdissent en ce moment les oreilles ont quelque rapport avec le marteau de la porte de M. Pecksniff ou bien avec la prodigieuse agitation causée par ce tapage et divisée par portions égales entre ce digne homme et M. Pinch.

La maison de M. Pecksniff est à plus de mille lieues d’ici : et cette heureuse histoire se retrouve encore dans la noble compagnie de la Liberté et de la sympathie morale ; elle savoure derechef l’air béni de l’Indépendance ; derechef elle contemple avec une pieuse terreur ce sens moral qui fait qu’on ne rend à César rien de ce qui appartient à César. Derechef elle respire à longs traits cette atmosphère sacrée que respira avant elle l’homme illustre… (Ô noble patriote, père de nombreux disciples !…) l’homme qui rêvait de liberté dans les bras d’une esclave, et qui en s’éveillant vendait sur le marché public les enfants qu’il avait eus de sa maîtresse.

Comme les roues résonnent et crient ! comme le chemin à rail plat s’ébranle, tandis que le train court à grande vitesse ! La locomotive mugit ; on dirait qu’elle est fouettée et tourmentée ainsi qu’un travailleur d’os et de chair, et qu’elle se tord dans l’agonie. Mais ce n’est qu’un rêve : car dans cette république l’acier et le fer sont infiniment plus considérés que la chair et le sang. Si l’œuvre intelligente de l’homme vient à être chargée au delà de sa puissance, elle possède en elle-même les éléments de sa vengeance ; tandis que le misérable