Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/400

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pas non plus tout à fait tort, jeune étranger : on y trouve aussi au beau milieu des chemins des insectes ruminants qui vous croquent très-bien l’homme ; mais n’y faites pas attention, c’est seulement pour vous tenir compagnie, c’est seulement des serpents qui vous donneront du fil à retordre ; chaque fois qu’en vous éveillant vous en apercevrez un tout dressé sur votre lit, en forme de tire-bouchon dont le manche est posé sens dessus dessous sur son train de derrière, coupez-le en deux, car c’est venimeux. »

— Pourquoi ne m’avez-vous pas averti de cela auparavant ? s’écria Martin, dont les traits prirent une expression qui redoubla l’air de gaieté de Mark.

— Je n’y avais ma foi pas songé, monsieur, répondit celui-ci. Cela m’est entré par une oreille et sorti par l’autre. Mais Dieu me pardonne, cet officier-là appartenait sans doute à une autre compagnie d’exploitation, et il n’aura bâti cette histoire que pour nous faire aller dans son Éden à lui, et non dans celui de ses concurrents.

— C’est assez vraisemblable, observa Martin. Tout ce que je puis dire, c’est que je le souhaite de tout mon cœur.

— Je n’en doute pas, monsieur, répliqua Mark, qui était trop occupé lui-même de cette anecdote peu rassurante pour avoir songé à l’effet qu’elle allait produire sur son maître ; car de toute façon il nous faudra y vivre, vous savez, monsieur.

— Vivre ! s’écria Martin. Oui, c’est aisé à dire ; mais s’il nous arrive de ne point nous éveiller quand les serpents à sonnettes s’amuseront à se dresser en tire-bouchon sur nos lits, il ne sera pas aussi aisé de vivre que vous le prétendez.

— La chose est parfaitement exacte, dit une voix si rapprochée qu’elle sembla chatouiller l’oreille de Martin. Cela est affreusement vrai. »

Martin regarda autour de lui ; il trouva qu’un gentleman, assis par derrière, avait avancé sa tête entre lui et Mark en appuyant son menton sur le rebord du dossier de leur petite banquette, et s’amusait à écouter leur conversation. Il avait cet air insouciant et nonchalant que déjà les deux voyageurs avaient remarqué chez la plupart des gentlemen du pays ; ses joues étaient tellement creuses, qu’il fallait qu’il fût toujours à les sucer par dedans ; le soleil, en le brûlant, ne l’avait rendu ni rouge ni brun, mais d’un jaune sale. Il avait des yeux noirs et brillants qu’il tenait à demi fermés, ne regardant absolu-