Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/408

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réunies, tout dans leur air, leur costume, leur mœurs, leurs manières, leurs habitudes, leur tournure d’esprit et leur conversation, reproduisait exactement M. Jefferson Brick, le colonel Diver, le major Pawkins, le général Choke et M. La Fayette Kettle, toujours, sans cesse, et toujours. Ces gens-là faisaient les mêmes choses, ils disaient les mêmes choses, ils jugeaient toutes choses d’après le même programme, et ils y rapportaient toutes choses. En observant comment ils agissaient et comment ils se comportaient les uns et les autres dans leur mutuelle et charmante compagnie, Martin commença à comprendre parfaitement qu’ils en fussent venus à former ce peuple si sociable, si gai, si aimable, si gracieux, que l’on connaît.

Au bruit d’un gong étourdissant, cette séduisante compagnie arriva par troupes de toutes les parties de la maison à la salle publique, tandis que des boutiques du voisinage accouraient une multitude d’autres convives : car la moitié au moins de la ville, gens mariés ou célibataires, résidait à l’Hôtel National. Le thé, le café, les viandes sèches, la langue, le jambon, la saumure, le gâteau, les rôties, les confitures, le pain et le beurre, tout fut dévoré avec la rapidité et l’avidité habituelles ; puis, comme d’ordinaire, la compagnie s’écoula par degrés, les uns allant à leur bureau, les autres à leur comptoir, et d’autres enfin à la salle à boire. Pour les dames, il y avait une table plus simple, où leurs maris et leurs frères étaient admis si cela leur convenait ; mais du reste, à tous égards, elles s’amusaient exactement comme chez Pawkins.

« Voyons, Mark, mon cher compagnon, dit Martin fermant la porte de sa petite chambre, il nous faut tenir un conseil solennel ; car notre sort sera décidé demain matin. Êtes-vous bien résolu à mettre vos économies dans les risques de l’association ?

- Monsieur, si je n’avais pas été déterminé à tenter l’aventure, répondit Tapley, je ne serais pas venu ici.

- Combien y a-t-il là ? demanda Martin en prenant un petit sac.

- Trente-sept livres dix schellings six pence. C’est du moins ce qu’on m’a dit à la caisse d’épargne ; car jamais je ne les ai comptés. Mais ils s’y connaissent mieux que moi, ajouta Mark avec un mouvement de tête qui exprimait sa confiance sans bornes dans la science et l’arithmétique de cette institution.

- L’argent que nous avons apporté sur nous, dit Martin, est réduit à un peu moins de huit livres sterling. »