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sommeil ; mais c’était un bon endroit rempli d’un calme plat, d’un calme lourd, un lieu soporifère, où chaque meuble vous rappelait que vous étiez venu pour dormir et que vous n’étiez là que pour ça. Là, pas de glace vigilante qui réfléchit le feu, ainsi que dans vos chambres modernes qui, au milieu même des nuits les plus sombres, gardent un constant reflet de l’élégance française. Çà et là le vieil acajou espagnol y clignait de l’œil, comme un chien ou un chat qui fait son somme au coin du feu. La grandeur, la forme, la lourde immobilité du bois de lit et de l’armoire, et même, à un moindre degré, celle des chaises et des tables, tout invitait au sommeil ; leur constitution même, lourde et apoplectique, vous disposait à ronfler. Là, point de ces portraits qui vous regardent avec l’air de vous reprocher votre paresse au lit ; sur les rideaux, pas de ces oiseaux à l’œil arrondi, ouvert, éveillé et insupportablement scrutateur. Les épais rideaux, les persiennes bien closes, les couvertures amoncelées, tout était disposé pour entretenir le sommeil ; loin de là tous les éléments conducteurs de la lumière et du réveil. Regardez le vieux renard empaillé, posé sur le haut de l’armoire ; eh bien ! lui-même, vous n’en auriez pas tiré une étincelle électrique de vigilance ; il avait fait le sacrifice de ses yeux d’émail, et vous auriez dit qu’il dormait tout debout.

La maîtresse du Dragon bleu promena à plusieurs reprises un coup d’œil rapide sur ce mobilier somnolent. Elle l’en détourna bientôt, ainsi que du lit qui était à l’autre bout de la chambre, avec son étrange locataire, pour le fixer sur la jeune femme placée tout à côté d’elle, et qui, les yeux baissés vers le foyer, restait assise et plongée dans une méditation silencieuse.

Cette personne était très-jeune, dix-sept ans environ ; elle avait des manières timides et réservées, et cependant elle paraissait se dominer, et savait mieux maîtriser ses émotions que les femmes ne le savent ordinairement, à une époque plus avancée de la vie. Elle en avait fait preuve tout récemment dans les soins qu’elle avait donnés au gentleman malade. Sa taille était petite, sa figure délicate pour son âge ; mais tous les charmes brillants de la jeunesse virginale couronnaient son beau front. Il y avait sur ses traits une pâleur causée sans doute en partie par les agitations récentes. Ses cheveux, d’un noir foncé, dans le désordre de ses préoccupations, avaient quitté leurs liens et pendaient sur son cou ; c’est une licence qu’un observateur galant eût enviée plutôt que blâmée.