Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/457

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dis que Tom Pinch, dans son trouble de coupable, secouait une bouteille d’élixir hollandais, jusqu’au point de le réduire à l’état de mousse anglaise, et que dans l’autre main il tenait un formidable couteau à découper, destiné en réalité à aplatir la bosse, mais qui semblait plutôt destiné à faire sans pitié une autre blessure dès que la première serait pansée, Charity ne prêtait pas le moindre secours et ne prononçait pas la moindre parole. Mais quand M. Jonas, après avoir reçu les soins nécessaires, se fut mis au lit, que chacun se fût retiré, et que le calme fût rentré dans la maison, M. Pinch, assis tristement sur sa couchette, s’abandonnait à ses pensées, lorsqu’il entendit frapper un léger coup à sa porte. Il alla ouvrir et, à son grand étonnement, il aperçut miss Charity debout devant lui, un doigt sur la bouche.

« Monsieur Pinch, murmura-t-elle ; cher monsieur Pinch ! dites-moi la vérité ! C’est vous qui lui avez fait cela ? Vous avez eu querelle ensemble et vous l’avez frappé ?… j’en suis sûre ! »

C’était la première fois qu’elle eût parlé amicalement à Tom, dans tout le cours des longues années qu’ils avaient passées ensemble. Il resta stupéfait d’étonnement.

« Est-ce vrai, oui ou non ? demanda-t-elle ardemment.

— J’avais été cruellement provoqué, dit Tom.

— Alors c’est donc vrai ?… s’écria Charity, les yeux étincelants.

— Ô… oui. Nous avons eu une querelle en chemin. Mais je ne voulais pas le frapper si fort.

— Pas si fort ! répéta-t-elle, fermant le poing et tapant du pied, à la nouvelle surprise de Tom. Ne dites pas cela. Ç’a été de votre part un acte de courage qui vous honore. Si vous aviez encore une querelle, ne l’épargnez pas ; mais terrassez-le et foulez-le aux pieds. Pas un mot de tout ceci à personne, cher monsieur Pinch. Je suis votre amie à partir de ce soir ; désormais je veux être votre amie pour toujours. »

Elle tourna vers Tom son visage enflammé, pour confirmer ses paroles par son expression amicale ; puis, prenant la main de Tom, elle la pressa sur son cœur et la baisa. Il n’y avait dans cette démonstration rien de personnel qui pût la rendre embarrassante : car Tom lui-même, qui ne brillait pas par le talent de l’observation, reconnut, d’après l’énergie qu’elle avait mise dans cette caresse, qu’elle eût baisé toute main, quelque barbouillée et souillée qu’elle fût, pourvu que cette main eût brisé la tête de Jonas Chuzzlewit.