Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/51

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pas positivement réveillé, il laissa voir cependant d’une manière certaine que chez lui le sommeil touchait à sa fin. Peu à peu, il dégagea sa tête des couvertures, et s’inclina davantage du côté où M. Pecksniff était assis. Au bout de quelques instants, il ouvrit les yeux et resta d’abord, comme il arrive aux gens qui viennent de s’éveiller, à regarder nonchalamment son visiteur, sans paraître avoir une idée distincte de sa présence.

Dans tous ces mouvements, il n’y avait rien de remarquable assurément ; cependant M. Pecksniff en ressentit un effet qu’eussent à peine surpassé les plus merveilleux phénomènes de la nature. Par degrés ses mains s’attachèrent d’une manière plus étroite aux bras du fauteuil ; la surprise dilata ses yeux, sa bouche s’ouvrit, ses cheveux se dressèrent plus roides que jamais au-dessus de son front, jusqu’à ce qu’enfin, quand le vieillard se mit sur son séant et contempla Pecksniff avec une surprise à peine moins grande que Pecksniff n’en avait montré lui-même, celui-ci sentit se dissiper tous ses doutes et s’écria à haute voix :

« Vous êtes Martin Chuzzlewit ! »

La profondeur de son étonnement était telle, que le vieillard, tout disposé qu’il avait paru être à le croire supposé, ne put en récuser la sincérité.

« Je suis Martin Chuzzlewit, dit-il amèrement, et Martin Chuzzlewit voudrait que vous eussiez été pendu avant de venir ici le déranger dans son sommeil. »

Il ajouta, en s’étendant de nouveau, et tournant de côté son visage :

« Eh bien, je rêvais de ce coquin, sans me douter qu’il fût si près de moi !

— Mon bon cousin !… dit M. Pecksniff.

— Voilà ! c’est le début ! s’écria le vieillard, secouant à droite et à gauche, sur l’oreiller sa tête grise, et agitant ses mains. Dès les premiers mots, il fait sonner la parenté ! Je savais bien qu’il n’y manquerait pas : les voilà bien tous ! Parents proches ou éloignés, sang ou eau, c’est tout un. Ouf ! quelle perspective de tromperie, de mensonge, de faux témoignages, s’ouvre devant moi, au cliquetis du mot de parenté !

— Je vous en prie, ne vous emportez pas ainsi, monsieur Chuzzlewit, dit Pecksniff, d’un ton des plus compatissants, des plus doucereux ; car il avait eu le temps de revenir de sa