Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/52

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surprise et de rentrer en pleine possession de sa vertueuse personnalité. Vous regretterez de vous être emporté ainsi, j’en suis sûr.

— Vous en êtes sûr, vous !… dit Martin avec mépris.

— Oui, reprit M. Pecksniff ; oh ! oui, monsieur Chuzzlewit. Et ne vous imaginez pas que j’aie dessein de vous faire la cour, de vous cajoler ; rien n’est plus éloigné de mon intention. Vous vous tromperiez étrangement aussi en vous figurant que je veuille répéter ce mot malencontreux qui vous a si fort offensé déjà. Pourquoi le ferais-je ? Qu’est-ce que j’attends de vous ? en quoi ai-je besoin de vous ? Il n’y a rien, que je sache, monsieur Chuzzlewit, dans tout ce que vous possédez, qui soit fort à convoiter pour le bonheur que vous en retirez.

— C’est assez vrai, murmura le vieillard.

— En dehors de cette considération, dit M. Pecksniff étudiant l’effet qu’il produisait, dès à présent il doit vous être démontré, j’en suis sûr, que si j’avais voulu capter vos bonnes grâces, j’aurais eu soin, avant tout, de ne point m’adresser à vous en qualité de parent : car je connais votre humeur et sais parfaitement que je ne pourrais faire valoir auprès de vous une lettre de recommandation moins favorable. »

Martin ne fit point de réponse verbale ; mais, par le mouvement de ses jambes sous les couvertures, il indiqua, aussi clairement que s’il l’avait dit en termes choisis, que M. Pecksniff avait raison et qu’il ne pouvait pas mieux dire.

« Non, dit M. Pecksniff plongeant sa main dans son gilet, comme s’il était prêt, au premier appel, à en tirer son cœur pour le mettre à découvert sous les yeux de Martin Chuzzlewit, non, si je suis venu ici, ç’a été pour offrir mes services à un étranger. Ce n’est pas à vous personnellement que je les offre, parce que je sais bien que, si je le faisais, vous vous méfieriez de moi. Mais quand vous êtes couché dans ce lit, monsieur, je vous considère comme un étranger, et je ressens pour vous le même intérêt que m’accorderait, j’espère, tout étranger, si je me trouvais dans la position où vous êtes. Hors cela, je suis tout aussi indifférent pour vous, monsieur Chuzzlewit, que vous l’êtes pour moi. »

Cela dit, M. Pecksniff se rejeta en arrière dans le fauteuil. Il rayonnait d’un tel éclat d’honnêteté, que Mme  Lupin s’étonnait de ne pas voir briller autour de sa tête une auréole en verre de couleur, comme les saints en portent dans les vitraux des églises.