Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/53

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Il y eut un long silence. Le vieillard, de plus en plus agité, changea plusieurs fois de position. Mistress Lupin et la jeune dame regardaient sans mot dire la courte-pointe. M. Pecksniff jouait d’un air indifférent avec son lorgnon, et tenait ses paupières baissées, comme pour méditer plus à son aise.

« Hein ? dit-il enfin, ouvrant subitement ses yeux qu’il fixa sur le lit. Je vous demande pardon. Je croyais que vous parliez. Mistress Lupin, ajouta-t-il en se levant lentement, j’ignore de quelle utilité je puis être ici. Le gentleman va mieux, et personne mieux que vous ne saurait lui donner des soins… Quoi ? »

Ce dernier point d’interrogation se rapportait à un nouveau changement de position opéré par le vieillard, qui montra son visage à M. Pecksniff pour la première fois depuis qu’il lui avait tourné le dos.

« Si vous désirez me parler avant que je m’en aille, monsieur, ajouta ce gentleman après une autre pause, vous pouvez disposer de moi ; mais je dois stipuler, comme sauvegarde de ma dignité, que vous aurez affaire à un étranger, rien qu’à un étranger. »

Or, si M. Pecksniff avait deviné, par l’expression du maintien de Martin Chuzzlewit, que celui-ci désirait lui parler, il ne pouvait l’avoir découvert que d’après le principe qui prévaut dans les mélodrames, et en vertu duquel le vieux fermier et son fils, le Jeannot de la troupe, savent ce que pense la jeune fille muette quand elle se réfugie dans leur jardin et raconte ses aventures dans une pantomime incompréhensible. Mais, sans s’arrêter à lui adresser aucune question à cet égard, Martin Chuzzlewit invita par signes sa jeune compagne à se retirer, ce qu’elle fit immédiatement, ainsi que l’hôtesse, laissant seuls ensemble Chuzzlewit et M. Pecksniff.

Durant quelque temps ils se regardèrent l’un l’autre silencieusement ; ou plutôt le vieillard regardait M. Pecksniff, et M. Pecksniff, fermant les yeux sur tous les objets extérieurs, semblait faire en dedans de lui-même une analyse de son propre cœur. À l’expression de sa physionomie, il était facile de juger que le résultat le payait amplement de sa peine et lui offrait une délicieuse, une charmante perspective.

« Vous désirez que je vous parle comme à un homme qui me serait totalement étranger, n’est-il pas vrai ? » dit le vieillard.

M. Pecksniff répondit, en haussant les épaules et en rou-