Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/61

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d’un gentleman des plus étranges, qui, tout en se frottant rudement la tête avec celle de ses mains qui restait libre, le regardait d’une manière sinistre.

Ce gentleman était dans un costume d’élégant râpé, bien que l’on ne pût exactement dire de ses vêtements qu’ils fussent à toute extrémité : car ses doigts dépassaient de beaucoup le bout de ses gants, et la plante de ses pieds était à une distance incommode de ses tiges de bottes. Son pantalon, d’un gros bleu, d’une nuance jadis éclatante, mais tempérée par l’effet de l’âge et du temps, était tellement serré et tendu par une lutte violente entre les bretelles et les sous-pieds, qu’à tout moment il avait l’air de vouloir se séparer en deux aux genoux pour trancher le différend. Sa redingote était de couleur bleue et de forme militaire, à grand renfort de brandebourgs jusqu’au menton. Sa cravate était pour la couleur et la forme, dans le genre de ces peignoirs dont les coiffeurs ont l’usage d’envelopper leurs clients, pendant qu’ils se livrent aux mystères de leur profession. Son chapeau était, arrivé à une telle vétusté qu’il eût été difficile de déterminer si, dans l’origine, il avait été blanc ou noir. Cependant ce gentleman portait une moustache, une moustache hérissée ; non pas une de ces moustaches douces et pacifiques, mais une moustache crâne et provocante, tortillée d’une manière satanique, et avec cela une énorme quantité de cheveux ébouriffés. Il était très-sale et très-suffisant, très-impudent et très-abject, très-rodomont et très-lâche ; en un mot, il avait l’air d’un homme qui avait pu être quelque chose de mieux, mais surtout il avait l’air d’un homme qui méritait d’être quelque chose de pis.

« Vous écoutiez donc aux portes, là-haut, vagabond que vous êtes !… » dit ce gentleman.

M. Pecksniff le repoussa, comme Saint-Georges dut repousser le dragon, quand cet animal était sur le point de rendre l’âme.

« Où est mistress Lupin ? dit-il. Je suis vraiment étonné ! La bonne femme ne sait donc pas qu’il y a ici une personne qui…

— Minute ! dit le gentleman. Attendez un peu. Que si, elle le sait. Eh bien ! quoi ?

— Comment, quoi, monsieur ? s’écria M. Pecksniff. Comment, quoi ? Apprenez, monsieur, que je suis l’ami et le parent de ce gentleman malade ; que je suis son protecteur, son gardien, son…